Il ne se passe pas une journée aux États-Unis sans que l’on entende parler des brevets dans les nouvelles. Prenons par exemple le cas de Ryan Seacrest et de son clavier Typo dont mon collègue Pierre Nguyen vous entretenait pas plus tard qu’hier.

En fait, il s’y passe tellement de choses qu’il est difficile présentement de savoir s’il est plus pertinent de parler du Congrès américain, qui est appellé à prendre position sur la « motion anti-troll » (à la demande expresse du président Obama – imaginez un premier ministre qui parlerait de brevets!), ou de la Cour Suprême qui décidera prochainement des conditions et limites à imposer aux inventions logicielles… Et encore, je laisse passer les dernières péripéties dans la saga Apple c. Samsung!

Est-ce à cause que les brevets y sont mentionnés à même la constitution? difficile à dire…

Je n’ai pu m’empêcher, toutefois, d’aborder le premier de ces deux sujets lorsque j’ai vu cet article qui nous informe que maintenant, Apple, Microsoft, IBM et d’autres s’unissent pour former un puissant lobby destiné à… préparez-vous…  « protéger le système de brevets des États-Unis »! Vous comprendrez qu’il s’agit ici de s’opposer à la motion anti-troll qui pourrait avoir comme effet de limiter les droits des détenteurs de brevets.

Alors, qui sont les méchants, qui sont les gentils?

Pour ceux qui les connaîssent moins, l’expression potentiellement péjorative « Patent Troll » a été largement utilisée aux États-Unis (voir les articles passés ici ou ici, par exemple) pour faire référence à des entreprises dont l’activité principale consiste à tirer des revenus en invoquant des brevets envers des entreprises qui elles, commercialisent ‘réellement’ des produits ou des services. Dans un effort politique ou diplomatique, l’expression « Patent Troll » a été classée comme incorrecte, et a été remplacée par « NPE-Non practicing entities », « PAE – Patent assertion entities » et j’en passe… Pour les fins de la discussion, j’utiliserai la seule expression que je connais pour les désigner en Français : chasseurs de brevets.

Peu importe que l’on soit pour ou contre, on doit reconnaître que ce genre de commerce implique nécessairement une société assez évoluée sur le plan légal! Par ailleurs, il est aussi tout à fait dans l’ordre des choses que la nouveauté engendre la discussion.

Pour aborder cette question, commençons par noter qu’il est fréquent d’entendre ce type d’entreprise se faire huer sous le prétexte de nuire au commerce ou de faire du mal à des ‘vraies entreprises’ qui sont ‘réellement au service de la population’.

Il faut évidemment mettre la passion populaire en perspective lorsque l’on étudie des questions aussi complexes. Par exemple, on doit se poser la question à savoir d’où proviennent les brevets détenus par les chasseurs de brevets?

Évidemment, comme les critères pour l’obtention de brevet sont assez stricts (parlez-en à n’importe qui qui a traversé le processus), le brevet vise vraisemblablement une invention.

Par ailleurs, il est bien connu que seulement un inventeur (incluant ici évidemment le féminin), c’est-à-dire un être humain, peut inventer. Une entreprise n’invente pas. Il est donc clair que le brevet détenu par un éventuel chasseur de brevets a, à un moment ou un autre, été détenu par le ou les inventeurs qui ont ‘mis ladite invention au monde’.

Or, qu’arrive-t-il lorsque quelqu’un invente une merveilleuse invention dans son sous-sol? Il rêve de vendre cette invention et d’en tirer des profits!

Prenons maintenant l’autre côté de cette question : si les chasseurs de brevets ont autant de succès, c’est évidemment qu’il y a des gens qui copient les inventions brevetées. Évidemment, copier l’invention de quelqu’un d’autre, c’est mal non?

Il ne reste plus qu’une étape pour dénouer mon raisonnement :

Et si les chasseurs de brevets avaient, en achetant les droits dans l’invention, aidé l’inventeur à faire respecter ses droits? Les chasseurs de brevets se retrouvent alors un peu dans le rôle d’un chasseur de prime du Far West de l’époque qui touche une prime pour confronter un vilain à la justice… Un rôle pas très glorieux, certes, mais utile? Pensons à notre cher Django!

La situation est certainement beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît au premier abord, et c’est justement ce qui ressort de l’association de Apple, Microsoft, IBM et autres pour laquelle une association était certainement, à prime abord, contre-intuitive!

Leur point de vue est à l’effet que le système des brevets est d’une grande importance dans une économie capitaliste comme la nôtre et que, quoi qu’il puisse y avoir, comme dans tout encadrement légal, certains abus marginaux, il ne faut pas nécessairement jeter le bébé avec l’eau du bain. Nous n’avons qu’à penser à ce qu’il adviendrait des nouveaux médicaments dans un contexte où les brevets n’existaient pas : il n’y en aurait pas!

Alors, après réflexion, qu’en pensez-vous? qui est le méchant et qui est le gentil?