Lorsqu’une demande de brevet est déposée aujourd’hui au Canada, elle sera généralement publiée par le Bureau des brevets environ dix-huit mois après sa date de priorité et aura une durée de vie de vingt ans à partir de la date de son dépôt. Cependant, cela n’a pas toujours été le cas.

Les demandes de brevets déposées au Canada avant le 1er octobre 1989 ont été publiées au moment où elles ont été acceptées et délivrées comme brevets. Une fois émis, la durée de vie d’un tel brevet serait de dix-sept ans à compter de la date de sa délivrance.

Dans le système pré-1989, un demandeur de brevet pouvait donc conserver sa demande de brevet en instance pendant de nombreuses années, voire des décennies, sans que personne soit conscient qu’elle était déjà dans le système. La demande sera disponible au public que beaucoup plus tard, après avoir été autorisée et délivrée en tant que brevet. Ces types de brevets sont considérés comme des brevets «sous-marin», car ils sont restés immergés «sous l’eau» (c’est-à-dire inaccessible au public) pour en «ressortir» que des années plus tard en tant que brevet délivré. Il est donc possible pour le propriétaire d’un tel brevet de surprendre ses concurrents qui peuvent avoir contrefait son brevet pendant de nombreuses années et ce, sans avoir la moindre idée qu’une demande était déjà en instance. L’histoire de Jerome H. Lemelson aux États-Unis est particulièrement agréable et illustrative de telles circonstances.

Le Bureau canadien des brevets est encore aux prises avec quelques demandes de brevet «sous-marins» dont l’une a fait l’objet d’une décision récente de la Cour fédérale du Canada dans University of California v. Commissioner of Patents.

Le 1er octobre 1989, le droit canadien des brevets a été marqué par une transition majeure. Avant cette date, le Canada était un pays de juridiction «premier inventeur». Cela signifie que si des demandes de brevets similaires étaient en instance simultanément devant le Bureau des brevets, un brevet ne sera accordé qu’à l’inventeur qui pourra prouver qu’il est celui qui a conçu l’invention en premier. Le 1er octobre 1989, le Canada est devenu un pays de juridiction «premier déposant». Cela signifie que si des demandes de brevets similaires étaient en instance simultanément devant le Bureau des brevets, le brevet ne sera accordé qu’à la demande ayant la date de dépôt la plus antérieure.

Les demandes de brevets dans University of California ont été déposées depuis plus de trente ans et donc, bien avant le 1er octobre 1989. La Cour n’explique pas pourquoi ces demandes sont en instance depuis si longtemps, mais cela est probablement dû au fait qu’elles ont été ligotées pendant l’examen en raison de conflits avec d’autres demandes de brevet. Les demandes de l’Université sont inaccessibles au public et la Cour ne fournit aucune information d’identification ou autres détails quant à leur contenu.

À un certain moment, le Bureau des brevets a engagé des procédures de conflits à l’encontre des demandes de l’Université, mentionnant essentiellement que l’objet de ces demandes est similaire à l’objet des autres demandes de brevet en instance. Les procédures de conflit au Canada sont une relique de la période pré-1989 où le système des brevets était de juridiction «premier inventeur». La nature ainsi que la marche à suivre de ces procédures sont décrites par le juge Hughes (dans un jugement antérieur cité dans University of California) comme suit:

Essentially the conflict process began when the Patent Office examiners perceived that there were two or more applications pending before the Office that appeared to be directed to the same subject matter. […] The Patent Office would select claims from the applications that appeared best to cover the subject matter common to all applications, or even draft such claims. These common claims would be presented to each of the applicants who could choose to remain in the conflict proceedings by including some or all of these claims in their application if they were not there already. The applicants were then invited to submit affidavits setting out facts that would establish the date of invention by their named inventors. […] When all evidence was in, the Commissioner of Patents would review the evidence and make a determination as to which inventors had first made the invention as described in the subject matter of the conflict claims. […] The claims would be awarded by the Commissioner to the application of the first inventor of each claim at issue and all the applications would proceed to final examination.

Les procédures de conflit restent secrètes pendant toute leur durée parce que les détails des demandes en conflit ne sont pas mis à la disposition du public et ne sont pas discutées avec les autres parties aux procédures de conflit.

En définitive, la Cour nous rappelle que les procédures de conflit sont destinées à résoudre la question concernant qui est celui qui a inventé l’objet de ces demandes en conflit en premier: «Identifying the date of invention is at the very core of conflict proceedings.» Puisque le Bureau des brevets a des pouvoirs d’enquête limités, la première date de l’invention est déterminée en comparant les affidavits des parties aux procédures de conflit. La Cour conclut que l’Université aurait dû soumettre d’abord un tel affidavit au lieu d’essayer de contester la brevetabilité des allégations en conflit et rejette leur demande de révision judiciaire.

Bien que cette affaire ne porte pas spécifiquement sur les questions de contrefaçon découlant de brevets «sous-marins», elle illustre un des risques potentiels associés à ces demandes anciennes : rester sous le radar est très bien jusqu’à ce que le Bureau des brevets trouve une autre demande de brevet «sous-marin» et tente de torpiller vos revendications.