Par: Nikita Stepin

Comme plusieurs d’entre vous sont probablement déjà au courant, le 7 novembre dernier marquait l’entrée en vigueur au Canada de la majorité des dispositions de la fameuse Loi sur la modernisation du droit d’auteur, mieux connue sous le nom de « C-11 ». La dernière fois que la Loi sur le droit d’auteur avait subi des changements était en 1997, et principalement afin de permettre au Canada de satisfaire à ses obligations sous divers traités internationaux. Cette fois-ci, et après plus de 7 ans de discussions et 3 tentatives infructueuses, la Loi C-11 tente tant bien que mal d’adapter notre régime de droit d’auteur aux nouvelles habitudes de « consommation » de médias divers ainsi que l’instauration de la neutralité technologique.

Ainsi, comme je crois qu’une copie de la Loi sur le droit d’auteur telle que biffée et amendée par la Loi C-11 serait un ajout stylistique douteux sur votre table à café dans le salon, je propose de vous donner en quelques courtes chroniques un aperçu général de vos nouvelles prérogatives en tant qu’utilisateurs et consommateurs de contenu artistique.

Le « time-shifting » et le « format-shifting »

Après une multitude d’années passées dans une zone grise du régime canadien sur le droit d’auteur, les exceptions prévues dans la Loi telle qu’amendée permettent maintenant aux utilisateurs de procéder en toute légalité à la fixation ou reproduction pour écoute ou visionnement en différé (aussi appelé « décalage temporel » ou « time-shifting »), ainsi que de reproduire à des fins privées une œuvre, notamment sur un support ou médium différent (« format-shifting »).

L’exception permettant le « décalage temporel » donne ainsi le droit de procéder à la fixation d’un signal de communication ou de radiodiffusion ou de fixer ou reproduire une prestation lorsqu’elle est ainsi communiquée afin de l’écouter ou de la regarder en différé. Toutefois, ceci n’est permis qu’uniquement si l’émission a été initialement obtenue de façon licite, pour usage à des fins privées, en quantité limitée à un seul exemplaire, et finalement, de façon énigmatique, permet uniquement de conserver l’enregistrement « que le temps vraisemblablement nécessaire pour écouter ou regarder l’émission à un moment plus opportun ».

L’exception de « reproduction à des fins privées » quant à elle, permet de reproduire l’intégralité ou toute partie importante d’une œuvre sous des conditions similaires, mais encore une fois, avec l’ambiguë restriction d’usage « à des fins privées ». Par ailleurs, la copie doit réellement avoir été achetée, et ne peut pas tout simplement avoir été louée ou empruntée à un ami. De plus, cette exception ne s’applique pas si la reproduction est faite sur un « support audio » au sens de la loi, ce qui revient à dire que la copie à des fins privées serait admise pour transférer une chanson achetée de iTunes sur un iPod ou téléphone cellulaire, mais pas sur les CD vierges par exemple.

Ce que vous avez à savoir, c’est que ces nouvelles exceptions établissent maintenant la légalité de certaines activités quotidiennes auxquelles vous vous adonniez déjà fort probablement, comme copier des fichiers audio d’un CD sur votre ordinateur (le « ripping »), transférer des fichiers audio ou vidéo sur un iPod ou enregistrer un épisode d’Occupation Double pour le visionner en cachette dans le noir, loin des regards accusateurs des membres de votre entourage.

Les nouvelles exceptions permettant d’utiliser une œuvre obtenue légalement sur divers supports et dans divers contextes de consommation sont certainement les bienvenues pour les consommateurs, mais il faut remarquer que ce nouveau paradigme fait l’objet de nombreuses critiques, notamment par le fait qu’il semble accorder des droits symboliques, sans toutefois spécifier de balises claires et de modalités d’exercice de ce droit. En effet, telles que rédigées, ces dispositions ne répondent pas de façon claire à ce que constitue « l’usage privé » d’une copie ou l’ampleur du « temps vraisemblablement nécessaire » au visionnement ou à l’écoute d’une œuvre enregistrée pour écoute en différé. Est-ce illégal d’inviter des amis chez soi afin d’écouter de la musique copiée sur son iPod? Est-il interdit de visionner l’épisode d’Occupation Double à multiples reprises afin de bien cerner les nuances dans le jeu dramatique des participants? De plus, il est difficile de croire que les mécanismes actuels permettent aux détenteurs de droits sur les œuvres protégées de déterminer avec certitude l’ampleur de l’usage, de l’écoute ou du visionnement de tout ce contenu.

En tout et partout, il s’agit bel et bien d’un régime qui semble pour le moins ingérable pour les ayants droits, les artistes et les sociétés de gestion collective qui les représentent…

Quoi qu’il en soit, de la manière dont ces exceptions sont actuellement formulées, il serait peut-être prudent de vous garder une copie de la loi sur votre table à café…  ainsi que toute la pile de jurisprudence qui viendra sans nul doute fixer des balises complexes à ces exceptions d’apparence simples!