Le gouvernement canadien a publié vendredi dernier un nouveau projet de loi très important dans le domaine de la propriété intellectuelle.

Le titre un peu paternaliste de l’annonce (« Le gouvernement Harper protège les Canadiens contre les produits contrefaits ») ne laisse planer aucun doute quant aux intentions du gouvernement : s’attaquer plus sévèrement à la contrefaçon.

Et c’est une bonne chose. Plusieurs amis et clients dans l’industrie « des marques » m’ont confié qu’ils se sentaient abandonnés par le droit de la propriété intellectuelle canadien et qu’ils ne parvenaient pas à maintenir le rythme face à l’audace des contrefacteurs et la multiplication des « knock-offs ».

Certains réussissent bien sûr à se plaindre du projet de loi, y voyant un exemple de « courbage d’échine » devant les pressions américaines visant à renforcer les lois de propriété intellectuelle, ou se plaignant du fait que des pauvres agents de douanes seront laissés libres de plonger sans supervision judiciaire dans les méandres de l’utilisation équitable.

Ce dernier point est à mon humble avis (et avec respect), ridicule. Utilisation équitable? Dans un documentaire, peut-être. Dans une œuvre picturale d’art moderne, peut-être. Dans un « container » plein de t-shirts de faible qualité arborant une reproduction intégrale d’un logo bien connu? Rarement.

Il est vrai qu’on voit parfois des articles de mode « parodiés », mais je me permets d’avancer, sans chiffre à l’appui j’en conviens, que ceux-ci sont une goutte d’eau dans l’océan de la contrefaçon.

À tout événement, voici un aperçu des changements les plus importants qui sont contemplés par ce projet de loi, dont le titre court est « Loi visant à combattre la contrefaçon de produits ».

En passant, pour ceux qui n’ont jamais fait l’exercice, passer à travers une loi fédérale qui modifie d’autres lois fédérales est un exercice qui donne particulièrement mal aux yeux. Sans que la longueur du travail de « digestion » des changements proposés se compare à celui du Sarlacc (une fois qu’on commence les références à la Guerre des Étoiles dans les billets de blogues juridiques, on n’en sort plus), une étude approfondie sera nécessaire.

Le but ici n’est donc pas de donner un exposé détaillé des changements proposés, mais plutôt d’identifier ceux qui auront l’impact pratique le plus significatif.

Lutte contre la contrefaçon

Le projet de loi prévoit d’abord un renforcement bienvenu des dispositions pénales pour prévenir la contrefaçon, notamment dans les cas d’exportation et de possession d’exemplaires contrefaits de produits protégés par le droit d’auteur ou le droit des marques (notons que l’importation parallèle est spécifiquement exclue de l’application de ces dispositions pénales).

On propose ensuite de mettre en place un régime revampé quant au travail des services de douanes dans la lutte anti-contrefaçon. Les titulaires de droit d’auteur et les propriétaires de marques peuvent désormais présenter une « demande d’aide » (bonne pour deux ans, mais renouvelable) auprès du ministre de la Sécurité publique afin de maximiser la collaboration des agents de douanes dans l’exercice des recours contre les contrefacteurs.

On crée une interdiction claire d’importer ou d’exporter des produits portant (ou dont l’emballage porte) une marque enregistrée ou une marque semblable à une marque enregistrée. Par le biais de l’article 101 de la Loi sur les douanes, cette prohibition permettra aux agents de douanes de retenir aux douanes les biens suspectés d’être importés ou exportés illégalement. Une leçon ici : la nouvelle loi protège ainsi les marques enregistrées. Pensez-y!

Les agents de douanes pourront retenir pendant 10 jours des biens suspectés d’être contrefaits (après avoir donné avis au propriétaire de marque). Les biens peuvent être retenus plus longtemps si le propriétaire de marque démontre qu’il a, avant l’expiration de ces 10 jours, déposé une procédure judiciaire contre les personnes impliquées dans l’importation des marchandises retenues.

On ajoute aussi :

  • La possibilité pour un détenteur de droits de propriété intellectuelle de demander une ordonnance pour faire retenir des articles contrefaits qui sont sur le point d’être importés.
  • Des nouvelles dispositions de droit pénal spécifiquement en matière de contrefaçon de marques de commerce (espérons que ça évitera que les tribunaux de droit criminel s’en lavent les mains, comme ça semble un peu avoir été le cas ici dans le cadre d’une tentative ratée des dispositions faiblardes actuelles du droit pénal en matière de marques de commerce).
  • Un nouvel article prévoyant clairement qu’il est contraire au droit des marques de commerce de fabriquer et d’avoir en sa possession des produits contrefaits, en vue de leur vente ou de leur distribution. La Loi sur les marques actuelle empêche principalement la vente de ces marchandises au Canada, avec pour conséquence que les manufacturiers et intermédiaires étaient laissés libres de se rendre complices des actes de contrefaçon pratiquement impunément.

En résumé donc, des bonnes nouvelles pour les propriétaires de marques qui pourront obtenir davantage de collaboration des services de douanes et peut-être pouvoir compter sur les nouvelles dispositions de droit pénal pour lutter plus efficacement contre la contrefaçon. Pour avoir discuté avec des confrères d’autres juridictions qui ont déjà de telles mesures en place au niveau des services de douane, il est bien possible que la présentation d’une « demande d’assistance » en vertu de la nouvelle loi soit fort efficace.

Mise à jour de la Loi sur les marques de commerce

Le projet de loi introduit aussi plusieurs modifications cherchant à moderniser la Loi sur les marques de commerce (sans que ça n’ait nécessairement un rapport  avec la lutte anti-contrefaçon). Certaines modifications sont très techniques, mais les suivantes peuvent être d’intérêt pour les détenteurs de marques :

La nouvelle loi prévoira explicitement que les marques dites « non traditionnelles » seront considérées comme des marques de commerce à part entière. Pourront donc maintenant être protégés (entre autres) :

  • Les sons, par exemple le « jingle » d’une publicité (pour ça cependant, l’OPIC n’a pas attendu la modification de la Loi);
  • Les odeurs, par exemple une odeur diffusée dans tous les magasins d’une chaîne de produits de beauté, mais aussi peut-être l’odeur du « sapin sent-bon » de votre voiture;
  • Les goûts, une saveur de croustille unique par exemple.

La nouvelle loi interdira explicitement l’enregistrement des marques de commerce dont les caractéristiques résultent principalement d’une fonction utilitaire. Ce n’est pas une révolution puisque la « functionality doctrine » existait déjà même si la Loi actuelle n’en parle que lorsqu’elle traite des marques tridimensionnelles (les signes distinctifs).

Un nouvel article permettra désormais aux examinateurs du Bureau des marques de commerce de refuser l’enregistrement des marques qu’ils ne considèrent pas avoir de caractère distinctif. Jusqu’à maintenant, parmi les marques « traditionnelles » (une combinaison de mots ou un logo 2D) seules les marques « clairement descriptives » pouvaient être refusées pour ce motif. Il faudra voir si les examinateurs seront désormais plus sévères envers les entreprises qui chercheront à enregistrer des marques « traditionnelles » suggestives, mais pas clairement descriptives (la marque « Orange » pour un producteur de carottes par exemple). La leçon ici : challengez vos équipes marketing lorsqu’elles présentent des projets dont les marques sont descriptives (c.-à-d. lorsqu’elles empruntent dans les mots communs de votre industrie, notamment pour décrire ou faire allusion à vos marchandises et services).

Enfin, on permettra aux entreprises de « diviser » leurs demandes d’enregistrement. Par exemple, si une marque couverte par une demande d’enregistrement est jugée non enregistrable pour certains produits (mais acceptable pour d’autres), on pourra diviser la demande pour traiter séparément les produits acceptés (et obtenir rapidement l’enregistrement pour ceux-ci) et prendre le temps de régler les problèmes qui bloquent l’enregistrement de la marque pour le restant des marchandises. Avant, pour permettre à la marque d’être enregistrée pour les produits acceptés, il fallait laisser tomber les marchandises problématiques et les intégrer dans une nouvelle demande… et ainsi perdre la priorité de la première demande pour celles-ci.