Dans son dernier billet, mon collègue Xavier a rapporté une nouvelle à l’effet que le USPTO tiendrait prochainement une table-ronde intitulée « The Use of Crowdsourcing and Third-Party Preissuance Submissions to Identify Relevant Prior Art ». Tout à fait légitimement, Xavier a lancé la balle à ses collègues pratiquant le droit des brevets et nous a demandé ce que nous en pensions. Dans ce billet, j’adresse cette interrogation et en bonus, je termine en parlant de poutine.

Plus particulièrement, j’explique brièvement ce que représente la soumission d’art antérieur dans le processus d’examen d’une demande de brevet, et je poursuis en présentant un exemple où il a été avantageux de combiner la soumission d’art antérieur et le crowdsourcing (« approvisionnement par la foule ») et quelques exemples hypothétiques où il serait désavantageux de le faire.

Déjà depuis quelques années, le public peut soumettre des documents d’art antérieur « contre » une demande de brevet au cours d’examen si la demande de brevet en question revendique un monopole trop important. Par exemple, ces dispositions sont très utiles dans une situation où une compagnie réalise que son compétiteur est en instance de brevet pour une invention ayant des revendications trop larges et qui, si le brevet était octroyé tel quel, pourrait empêcher illégitimement la conduite de ses activités. Ainsi, la compagnie peut soumettre de l’art antérieur au Bureau des brevets afin d’aider celui-ci à examiner la portée des revendications de la demande de brevet afin d’octroyer un juste monopole au demandeur.

Vous serez peut-être surpris d’apprendre que le Canada permet cette disposition depuis 1989 avec la section 34.1 de la Loi sur les brevets, tandis que des dispositions similaires aux États-Unis sont permises seulement depuis 2012 avec la nouvelle section 35 U.S.C. 122(e) du Leahy-Smith America Invents Act (AIA). L’Office européen des brevets (OEB) et l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) ont aussi ce type de dispositions dans l’article 115 de la Convention sur le brevet européen et avec l’instruction administratives 801 du Traité de coopération en matière de brevets (PCT), tous deux datant de 2012.

J’ai sondé le terrain chez mes collègues agents de brevets depuis la publication du billet de Xavier, et nous sommes d’avis que le principe idéologique à la base de la soumission d’art antérieur par un tiers est absolument bon. En effet, qui peut être contre une initiative qui a pour but d’améliorer la qualité du processus d’examen en brevet en plus d’améliorer la qualité des brevets octroyés ? Là où les opinions sont plus divergentes, c’est lorsqu’on ajoute la notion de crowdsourcing à la notion déjà connue de soumission d’art antérieur.

Mais qu’est-ce que le crowdsourcing ? Je ne sais pas pour vous, mais quand je pense à crowdsourcing, je pense immédiatement à Threadless. Sur ce site, on peut y apprécier une quantité phénoménale de t-shirts ayant des designs originaux (qui parfois font des clins d’œil à des classiques, tel que celui-ci). Les designs de t-shirt sont soumis par une communauté de dessinateurs, le public vote pour ses designs favoris, et seulement ceux-ci sont imprimés puis mis en vente. Selon moi, Threadless est un excellent exemple où le crowdsourcing peut être mis à profit dans une relation avantageuse pour le public, la communauté de dessinateurs et l’organisation.

Appliqué au monde des brevets, le crowdsourcing donne lieu à des communautés comme Article One Partners. Notamment, ce site répertorie bon nombre de mandats de recherche où des documents d’art antérieur pertinents sont demandés et où des clients sont prêts à payer une récompense à des chercheurs ayant soulevés les documents les plus importants. N’importe qui peut s’improviser chercheur et s’embarquer dans une chasse aux trésors confortablement assis sur son divan, un laptop sur les genoux, la page de Google Patents ouverte sur Safari. De ce que je comprends, le fardeau d’analyser les documents soumis par les chercheurs, de discriminer les moins pertinents des plus pertinents et de déterminer qui mérite une récompense ou non revient à Article One Partners et à ses clients. Article One Partners est donc un bon exemple d’une situation où la soumission d’art antérieur et le crowdsourcing peuvent s’unir pour aider le public. À tout de moins, ils ont déjà accordé plus de 5 millions de dollars en récompense à leurs chercheurs, preuve que le concept fonctionne très bien.

J’ouvre une parenthèse. S’y retrouver dans les bases de recherche spécialisées en brevet, savoir lire un brevet, savoir comment déterminer ce qui est pertinent en vue des revendications et ce qui ne l’est pas, ce n’est pas donné à tout le monde. Il faut avoir de la pratique, savoir comment le Système fonctionne, savoir où regarder et savoir quoi chercher. Très souvent, une formation technique et une formation en droit des brevets ne sont pas de trop. Je ferme la parenthèse.

En naviguant quelques minutes sur AskPatents, un initiative récente de crowdsourcing du USPTO, on peut trouver très facilement plusieurs exemples (et je l’ai fait) où monsieur-madame tout le monde opine sur la brevetabilité d’une quelconque demande de brevet. Malheureusement, dans quelques cas, ces personnes ne savent pas ce qu’est une revendication. Je ne juge pas, mais je dessine comme un enfant de cinq ans, alors je ne soumets pas de design à Threadless. Tout comme ce n’est pas donné à tout le monde de savoir dessiner, ce n’est pas donné à tout le monde de savoir comment lire un brevet.

C’est avec cette prémisse que plusieurs de mes collègues agents de brevet craignent que les examinateurs soient surchargés de documents peu ou pas pertinents. En effet, le fardeau d’analyser des documents soumis par le crowdsourcing reviendrait à l’examinateur, qui lui, est déjà surchargé de travail. Cette surcharge de document à analyser pourrait donc se résulter, entre autres,  en des documents soumis par le public ignorés ou en une recherche d’art antérieur par l’examinateur moins rigoureuse, etc.

Bref, l’application du crowdsourcing au monde des brevets ne se clôt pas avec ce billet. C’est comme l’application de ketchup sur une poutine – il y a des pours et des contres, des défendeurs et des détracteurs (comme moi).

Je termine en mentionnant que, de façon contre-intuitive, il n’est pas toujours à l’avantage d’un tiers de soumettre un document d’art antérieur pertinent contre une demande de brevet pendant le processus d’examen. Peut-être ce sujet sera-t-il abordé dans un futur billet.