Prenons au hasard un sujet de conférence. Mettons,  « Ce que le jeu de Monopoly peut nous apprendre sur le droit d’auteur dans les logiciels ».

Comme pour les poupées russes, ce titre de conférence en appelle un autre :  « Ce que le choix des mots peut nous apprendre sur la philosophie du conférencier en matière de droit d’auteur».

Aujourd’hui, il y a sur la planète deux grandes philosophies de droit d’auteur : le droit d’auteur à la manière européenne continentale et le «copyright» de l’anglosphère.

Le mot «copyright» le dit clairement, la conception que l’anglosphère a de cette forme de propriété intellectuelle en est une où le droit est indissociable d’un objet physique. L’objet, évidemment, c’est l’exemplaire ou la copie. Copy-right.

On fera tout de suite remarquer que le concept d’«exemplaire» n’est pas identique au concept de «copie» mais que la langue anglaise ne distingue pas entre les deux. Dans la Loi sur le droit d’auteur, la version anglaise utilise seulement «copy» là où la version française utilise généralement le mot «copie» mais préfère dans certains cas utiliser le mot «exemplaire». La nuance n’est pas inutile.

Mais, dans mon titre fictif de conférence, c’est surtout sur la préposition «dans» que je veux aujourd’hui mettre l’éclairage. Quand je dis que le droit d’auteur est «dans» les logiciels, je me situe d’emblée dans la philosophie du «copy-right». Le droit réside dans l’objet physique. Cela n’est pas innocent et entraîne toutes sortes de conséquences, dont l’une est de ne pas pouvoir imaginer qu’il y ait un droit d’auteur là où il n’y a pas d’objet physique.

Ainsi, nos compatriotes anglophones font de la «fixation» de l’œuvre un prérequis à sa protection par droit d’auteur. Pourtant, le fait de dire que «les idées sont de libre parcours» et que seules les formes d’expression sont protégeables par droit d’auteur – ce sur quoi les deux philosophies sont d’accord – n’emporte pas nécessairement que la forme d’expression doive être fixée dans une «copie». Les exemples sont nombreux où de réelles «œuvres» existent et sont reproductibles sans avoir encore été réduites à une copie permanente. Depuis les improvisations musicales aux courts poèmes de style haïku, on peut facilement avoir créé une «œuvre» que des tiers seraient capables de reproduire alors que l’œuvre n’existe pourtant pas sous forme d’exemplaire (en anglais, «copy»).

La philosophie continentale européenne du droit d’auteur, elle, considère plutôt que le droit en est un de quelqu’un «sur» quelque chose. Le droit de l’auteur. En italien : diritto di autore ; en espagnol : derechos de autor ; en allemand Ürheberrecht…

Dans la philosophie européenne continentale du droit des auteurs, la forme d’expression (qui est l’empreinte de la personnalité de l’auteur) n’a pas besoin d’avoir été fixée pour être protégée – sous réserve, évidemment, des difficultés de preuve pour l’auteur. Mais la difficulté de preuve est un problème qui n’est manifestement pas de la même nature que celui de l’existence même du droit sur une forme d’expression non fixée.

Dans cette philosophie européenne continentale du droit d’auteur, comme le droit est celui de l’auteur sur sa création, il n’y a aucune hésitation à reconnaître l’existence d’un droit moral comme composante des droits de l’auteur, droit moral que les USA ont prétendu reconnaître au moment où ils sont devenus membres de l’Union de Berne en 1986 mais qu’ils s’acharnent depuis à faire disparaître de la surface du globe en entraînant tous leurs partenaires dans des traités bilatéraux ou multilatéraux où l’article 6bis de la Convention de Berne (l’article qui impose la reconnaissance du droit moral) est exempté des obligations souscrites par les contractants.

Ainsi donc, selon que l’on parle du droit d’auteur dans les logiciels ou sur les logiciels, on choisit son camp : droit matérialiste n’existant que par une fixation ou droit d’un individu créatif sur sa création.

Dans un  pays comme le Canada où la Loi sur le droit d’auteur (Copyright Act) essaie de créer un dialogue entre les deux philosophies, il est de la responsabilité des francophones minoritaires de veiller à ce que nous puissions continuer de profiter des richesses particulières des deux systèmes et que les apprentissages de l’Europe continentale ne disparaissent pas devant le rouleau compresseur de la philosophie de l’anglosphère.

Donc, renommons cette conférence fictive : Ce que le jeu de Monopoly peut nous apprendre sur le droit d’auteur SUR les logiciels.