Par : Xavier Beauchamp-Tremblay
La Cour fédérale a rendu avant les fêtes un jugement intéressant (à nous entendre, ils le sont tous n’est-ce pas?) quant à l’emploi des marques de commerce via Internet.
Le jugement s’inscrit dans une série de décisions qui pourraient éventuellement avoir un impact significatif sur le droit des marques de commerce (j’en glisse un mot plus bas). Plus important encore pour notre lectorat, ces jugements sont déjà susceptibles d’avoir, dès aujourd’hui, un impact concret sur les entreprises canadiennes.
Le paragraphe croustillant (selon la désormais célèbre expression) du jugement est celui-ci :
[22] J’estime donc qu’une marque de commerce qui figure sur le site Web d’un écran d’ordinateur au Canada constitue, pour l’application de la Loi sur les marques de commerce, un emploi et une annonce faits au Canada, et ce, indépendamment de la provenance des renseignements ou du lieu où ils sont stockés.
J’ai mis le mot « emploi » (on dit aussi « usage ») en caractère gras parce que c’est le concept-clef de la phrase (et la clef de voûte du droit des marques au Canada) puisqu’en principe :
- Sans « emploi » d’une marque au Canada, pas de droit dans cette marque de commerce au Canada (sauf exception);
- Sans « emploi » au Canada, pas de violation de marque de commerce au Canada.
Le jugement confirme donc ce qu’on savait un peu déjà, à savoir que le fait d’opérer entièrement un site Internet depuis les États-Unis (ou ailleurs) peut dans certains cas constituer de l’emploi au Canada.
Concrètement, ça signifie :
- Que lorsqu’une entreprise canadienne effectue des recherches pour déterminer si une marque est disponible au Canada, il est périlleux d’ignorer les marques employées sur Internet, même si l’opérateur du site ne semble pas avoir d’établissement physique au Canada. C’est d’ailleurs la leçon numéro 1 de ce billet.
- Plus techniquement : Qu’on pourrait argumenter qu’une marque enregistrée au Canada alors que le déposant a déclaré avoir l’intention de l’employer dans le futur (utilisant donc la « base » de l’emploi projeté) a en fait été employée au Canada via Internet avant la date de cette déclaration… qui est donc fausse. En conséquence, l’enregistrement obtenu sur la base de cette déclaration pourrait être invalidé. Mon pif me dit que plusieurs marques pourraient être vulnérables à de telles « attaques ».
Plus théoriquement, j’avais argumenté dans un humble article publié cet automne que les technologies de l’information et l’Internet étaient peut-être en train de bousiller le droit des marques de commerce au Canada. Reste que la plupart des décisions sur lesquelles je me basais alors avaient été rendues en vertu d’une procédure dont les décisions ont une moins grande autorité. Ici, c’est un jugement de la Cour fédérale ayant « pleine autorité » et qui, de surcroît, a été rendu par un juge très respecté en matière de propriété intellectuelle.
Cela dit, le jugement aurait été plus intéressant encore si le propriétaire du site Web en question n’avait pas été en mesure de démontrer la moindre connexion avec le Canada autre, par exemple, qu’une poignée de visites de son site effectuées par des Canadiens.
Difficile de savoir comment le juge a été influencé par le fait que le site (un site « d’entremettage » entre locateurs et locataires potentiels) ait « listé » des propriétés situées au Canada et qu’il ait fait l’objet d’un article dans le Toronto Star. Il n’est pas si clair selon l’état du droit actuel que cette preuve d’une connexion concrète avec le Canada était nécessaire.
Bref, comme le chantait Richard Séguin, l’usage de marques sur Internet: Ici, comme ailleurs (et vice-versa)!