Par: Xavier Beauchamp-Tremblay
On nous pose souvent des questions au sujet de la Charte de la langue française (ou « Loi 101 » pour les amateurs de numérologie) et de son impact sur l’emploi des marques de commerce unilingues anglaises au Québec. Normal, parce que le moins qu’on puisse dire c’est que :
- L’Office de la langue française a indubitablement été très actif de ce côté dans les dernières années (particulièrement lorsqu’il est question de l’affichage commercial);
- Les interventions et déclarations de l’Office sont généralement hautement médiatisées… probablement à cause de l’émotion suscitée ici (parlez-en à Randy Cunneyworth) par les questions linguistiques;
- Les débats interminables sur la portée des exceptions à la Loi peuvent donner l’impression que le tout est d’une complexité extraordinaire.
À bien des égards cependant, les règles sont assez simples.
Discutons-en, en français bien sûr… et avec toutes les réserves qui s’imposent, notamment quant au fait que je ne parle qu’en mon nom (c’est le cas pour tous nos billets, mais c’est particulièrement vrai ici).
Les principes
En vertu de l’article 58 de la Charte soit on affiche en français seulement, soit on y va avec un affichage bilingue où le français figure toutefois de façon nettement prédominante (attention cependant aux babillards visibles depuis les chemins publics et aux publicités dans le transport en commun)… sauf lorsque, par règlement, le gouvernement détermine des exceptions.
L‘article 51 de la Charte prévoit que les inscriptions sur un produit ou son emballage doivent être en français, mais peuvent être accompagnées d’une traduction, pourvu que la traduction ne l’emporte pas sur la version française (donc, contrairement à l’affichage, pas besoin que le français soit prédominant : il suffit qu’il soit égal aux autres).
L’article 52 prévoit enfin que les documents publicitaires (brochures, dépliants, mais aussi les sites web, même si ce n’est pas mentionné) doivent être en français, mais l’article 10 du Règlement sur la langue du commerce et des affaires permet de faire une version dans une autre langue.
L’exception pour les marques de commerce reconnues
Pour les articles 58 et 51, une exception importante permettant l’emploi de marques unilingues anglaises est cependant édictée au Règlement sur la langue du commerce et des affaires. C’est ici que ça devient un peu plus compliqué.
Ce règlement prévoit à son alinéa 25(4) que dans l’affichage public et la publicité commerciale, une marque de commerce reconnue au sens de la Loi sur les marques de commerce peut être rédigée uniquement dans une autre langue que le français, sauf si une version française en a été déposée. La même exception existe à l’article 7(4) pour les inscriptions figurant sur un produit et à l’article 13(4) pour les documents publicitaires (brochures, sites web et autres).
Or, l’Office de la langue française prétend que « reconnue au sens de la Loi sur les marques de commerce » n’inclut que les marques de commerce « enregistrées » (ou « déposées ») auprès de l’OPIC (et exclue donc les marques non enregistrées ou en cours d’enregistrement), et ce même si :
- la définition de « marque de commerce » figurant dans la Loi sur les marques de commerce ne précise pas (au contraire) que cette définition ne couvre que les marques de commerce enregistrées;
- Les tribunaux en sont venus deux fois à la conclusion que « marque de commerce reconnue » ne voulait pas dire qu’il fallait absolument que la marque de commerce en question soit enregistrée (voir ici et ici).
Cela dit, pour éviter les chicanes, la solution simple est d’obtenir un enregistrement de marque de commerce. Si c’est urgent, il est même possible – selon notre expérience – de demander un examen accéléré de la demande d’enregistrement auprès de l’OPIC en invoquant la nécessité de respecter les règles de l’Office.
Voilà qui règle la première grande question : Quand on a un certificat d’enregistrement en poche pour une marque de commerce anglaise on peut l’utiliser en anglais seulement presque partout… sauf dans l’affichage public où il faut continuer l’analyse.
Marque ou nom?
La deuxième grande question (sauf pour cette marque bien sûr!) consiste à déterminer si l’affichage extérieur doit être considéré comme l’affichage d’une marque et/ou l’affichage d’un nom.
Lorsqu’un commerçant installe une affiche portant sa marque (enregistrée) à l’extérieur de son commerce pour annoncer ses services, cet affichage devrait en principe tomber sous le coup de l’exception de l’alinéa 25(4) dont on vient de discuter (et qui, pour rappel, permet l’affichage unilingue anglais de « marques de commerce reconnues »).
Sauf que l’Office prétend que dans un tel cas, les commerçants affichent plutôt (ou aussi) un « nom », et que c’est donc l’article 27 du règlement qui doit trouver application.
Cet article 27 nous dit :
27. Peut figurer comme spécifique dans un nom, une expression tirée d’une autre langue que le français, à la condition qu’elle soit accompagnée d’un générique en langue française.
C’est sur cet article que repose la position de l’Office à l’effet qu’un descriptif français doit accompagner une marque présentée en anglais seulement.
Quel que soit le bien-fondé de la position de l’Office au plan juridique, un commerçant qui affiche une marque en anglais seulement (sans descriptif français) risque toujours de recevoir une lettre pas trop commode lui demandant, sous peine de poursuites pénales (sans compter les risques de mauvaise presse), de changer son affichage et de faire une petite place à la « langue de chez nous ».