Récemment, Google consacrait un de ses fameux Doodle au « Bras canadien » (ou CANADARM, dans la langue de Leonard Cohen), symbole phare du savoir-faire scientifique canadien. Vous serez heureux de savoir que le Gouvernement du Canada (en l’occurrence le Conseil national de recherches) a pris soin de protéger la marque de notre fleuron scientifique contre les usurpateurs potentiels en publiant la marque officielle CANADARM.

La question qui vous brûle sans doute les lèvres, cher lecteur: « Publier une marque officielle »? Ne veut-il pas dire « déposer une demande d’enregistrement pour une marque de commerce laquelle sera éventuellement publiée, puis enregistrée »?

Il n’y a pourtant pas d’erreur. Les marques officielles sont des bêtes différentes des marques de commerce. C’est un privilège des entités sous contrôle gouvernemental. Le concept est une originalité canadienne et n’a pas d’équivalent clair dans les autres juridictions.

On n’enregistre pas une marque officielle: l’entité gouvernementale doit simplement la publier sur le Registre pour bénéficier de toutes les protections que la Loi accorde aux marques officielles (sous réserve de prouver notamment que la marque officielle a été effectivement adoptée [Mise à jour: un fardeau assez léger selon une décision récente] et qu’il y a bel et bien un contrôle gouvernemental).

Alors que les marques officielles sont un avantage considérable pour les entités sous contrôle gouvernemental, elles peuvent être plutôt embêtantes pour les entreprises du secteur privé. Lorsqu’une compagnie ou un entrepreneur dépose une marque de commerce (par opposition à une marque officielle) sa marque subit un examen de la part de l’OPIC.

Lors de cet examen, une marque de commerce peut être « bloquée » notamment:

  • Par une autre marque de commerce susceptible de prêter à confusion;
  • Par une marque officielle trop ressemblante;

Pour déterminer si une marque de commerce est susceptible de prêter à confusion avec une autre marque de commerce, on considère plusieurs facteurs, incluant l’important critère de la similarité entre les marchandises (ou services) vendues sous une marque des marchandises (ou services) vendues sous l’autre.

Par exemple, la Cour suprême a déjà considéré que la marque BARBIE’S utilisée en lien avec des services de restaurants ne violait pas la marque BARBIE (malgré toute sa notoriété) utilisée avec des poupées (ainsi qu’une quantité innombrable de produits dérivés).

En comparaison, le test applicable lorsqu’on compare une marque de commerce avec une marque officielle ne tient pratiquement pas compte des similarités entre les marchandises et services.

Par exemple, si je déposais une demande pour enregistrer la marque de commerce CANADARM pour utiliser en liaison avec des fines herbes, il est presque certain que les examinateurs de l’OPIC m’opposeraient les marques officielles CANADARM du Conseil national de recherches, et ce même s’il faudrait beaucoup d’imagination pour trouver un lien entre un gigantesque bras téléscopique de navette spatiale et des fines herbes offertes par un honnête maraîcher.

Pour obtenir un enregistrement, il me faudrait donc obtenir un consentement du Conseil national de recherches Canada… consentement que le Conseil aurait entière discrétion de m’accorder ou non, et aux conditions qu’il détermine.

Il n’y a pas d’autre morale à cette histoire que d’apprivoiser ces grandes incomprises que sont les marques officielles. Reste que plusieurs entrepreneurs font eux-mêmes certaines recherches sur le Registre des marques avant de donner à leurs conseillers en marque des instructions de déposer directement une demande d’enregistrement (sans demander que des recherches plus approfondies soient effectuées).

Dans un tel cas, j’espère avoir démontré ici qu’il est périlleux d’ignorer une marque officielle simplement parce qu’il n’y a aucun risque de la confondre avec la marque de commerce recherchée. En effet, c’est une erreur qui, dans les pires cas, pourrait coûter un « bras » à son auteur, si on me permet le calembour anatomique.