Auteur: Erika Bergeron-Drolet
Le 31 janvier dernier, la Cour d’appel du Québec a rejeté la demande de Laurent Lachance afin que soit reconnu son droit d’auteur dans la populaire série pour enfants Passe-Partout et, à ce titre, d’obtenir des redevances de 15% sur le prix de vente des coffrets DVD comprenant les 125 premiers épisodes de la série. Ces coffrets ont été commercialisés en 2006 par Marie Eykel et Jacques L’Heureux, acteurs ayant respectivement incarné Passe-Partout et Passe-Montagne. La Cour supérieure avait également rejeté la demande de Lachance, que plusieurs considèrent comme « le père de Passe-Partout ».
Faits
Dans les années 70, le Ministère de l’Éducation confie à Lachance le mandat de créer une série d’émissions s’adressant à un auditoire d’enfants de trois à cinq ans (avouez que vous l’avez écouté plus longtemps…). À cette époque, le Québec vit une véritable révolution culturelle, et le Ministère vise à démocratiser le secteur de l’éducation en prenant notamment compte des besoins des enfants provenant de milieux défavorisés.
À titre de chargé de projet, Lachance élabore les devis qui énoncent les principes pédagogiques directeurs de Passe-Partout, trouve le titre de l’émission ainsi que les noms des personnages principaux. Il met sur pied une équipe de pédagogues, scénaristes, réalisateurs, marionnettistes, comédiens, musiciens, etc. qui feront de Passe-Partout la série culte que l’on connaît tous. Plus de 280 épisodes sont produits de 1977 à 1998.
Le lancement de coffrets DVD de Passe-Partout en 2006 par Eykel et L’Heureux connaît un franc succès, avec plus de 200 000 copies vendues. Lachance n’a jamais été consulté lors des négociations entourant la production des coffrets DVD.
C’est dans ce contexte que Lachance intente une poursuite contre Eykel et L’Heureux pour que soit reconnu son droit d’auteur et toucher des redevances sur la vente des coffrets DVD. Lachance affirme être l’auteur principal de la série, que celle-ci est avant tout le fruit de son talent et de son jugement, et qu’elle dégage « la couleur et l’âme » qu’il lui a données.
Cour supérieure
La Cour supérieure reconnaît Lachance comme l’un des auteurs de l’œuvre originale qu’est Passe-Partout ainsi que son apport non négligeable dans la création de la série. Cependant, la Cour estime que Lachance ne détient aucun droit d’auteur dans la série puisque celle-ci a été créée dans le cadre de ses fonctions à titre d’employé du Ministère de l’Éducation.
L’article 13(3) de la Loi sur le droit d’auteur prévoit que lorsque l’auteur est employé par une autre personne en vertu d’un contrat de service, et que l’œuvre est exécutée dans l’exercice de cet emploi, l’employeur est le premier titulaire du droit d’auteur sauf stipulation contraire.
Ainsi, même si Lachance jouissait d’une grande latitude professionnelle, la Cour juge qu’il était subordonné au Ministère de l’Éducation et donc, qu’il n’est pas titulaire du droit d’auteur dans Passe-Partout en vertu de l’article 13(3) de la Loi sur le droit d’auteur. Conséquemment, Eykel et L’Heureux n’avaient pas à le consulter pour produire les coffrets DVD, et n’ont pas à lui verser de redevances.
Cour d’appel
La Cour d’appel maintient la décision de la Cour supérieure pour essentiellement les mêmes raisons. Elle rappelle que l’application de l’article 13(3) de la Loi sur le droit d’auteur n’est pas atténuée par le degré de créativité dont a pu faire preuve l’employé dans l’accomplissement de ses tâches. Elle souligne que Lachance a lui-même concédé qu’il n’avait jamais réclamé quelque droit économique auprès de son employeur en lien avec Passe-Partout, et que seul son employeur avait des droits sur l’œuvre.
En somme, le seul droit auquel Lachance peut prétendre sur la série Passe-Partout est un droit moral, c’est-à-dire le droit de revendiquer la paternité de l’œuvre et d’en préserver l’intégrité. À mon avis, ce n’est tout de même pas négligeable (du moins symboliquement, si ce n’est économiquement), considérant l’impact de la série et les souvenirs indélébiles qu’elle a laissés dans l’imaginaire collectif d’une génération de Québécois. Je me rappelle que dans ma famille, Passe-Partout servait d’unité de mesure du temps. Par exemple, pour un trajet de voiture d’une heure et demi, mes parents disaient que nous allions arriver dans « trois Passe-Partout ». Je pense aussi à Alakazou et ses sandwichs au gazon, le garçon qui cherche sa main, Passe-Carreau qui imite un chat, Fardoche et sa chanson des bons légumes, Ti-Brin et sa mauvaise influence sur les jumeaux Cannelle et Pruneau et j’en passe… Avant de sombrer dans la nostalgie, je vous dit à bientôt les poussinots, à bientôt les poussinettes !