Prenant ses origines dans les mots grecs telos (fin) et logos (étude), la téléologie est l’étude de la finalité. Ce petit bijoux de la langue française était, jusqu’au début des années 2000, plutôt inconnu des agents de brevets canadiens. Toutefois, le 14 décembre 2000, dans les décisions Free World Trust et Whirlpool de la Cour Suprême du Canada, la téléologie ou plutôt l’approche téléologique a pris tout son sens : elle doit guider l’interprétation des revendications d’un brevet canadien. Bien que le terme utilisé soit d’usage peu commun (et avouons-le, de définition un peu nébuleuse), l’approche téléologique est relativement simple : les revendications doivent être interprétées dans leur ensemble. Les revendications comprennent la juxtaposition de plusieurs mots et tous les mots doivent être pris en considération pour interpréter (ou comprendre) les revendications. Mais surtout, l’approche téléologique empêche de « distiller » l’esprit inventif des termes d’une revendication et d’interpréter de manière libérale ce que l’inventeur « voulait vraiment exprimer ». La téléologie, au Canada, est le chien de garde de l’interprétation juste et éclairée des revendications.

J’ai peut-être sauté de manière un peu trop rapide dans la discussion sur la définition de la téléologie et je me permets de revenir un peu en arrière. Les revendications utilisent une formulation grammaticale et linguistique complexe. Par conséquent, pour les comprendre, il est souvent nécessaire de ne pas s’en tenir à leur sens littéral strict, mais plutôt de les interpréter, c’est-à-dire d’établir la portée du monopole qu’elles définissent. Une fois les revendications interprétées (le plus souvent par des juges en fonction de témoignages d’experts), on peut ensuite déterminer si elles sont valides et même si un tiers les contrefait.

Par exemple, dans la décision de la Cour Suprême dans l’affaire Whirlpool, il a été crucial d’interpréter, en utilisant l’approche téléologique, la portée des revendications concernant l’agitateur d’une laveuse à linge d’un premier brevet afin de déterminer la validité d’un second brevet. Un des points importants discutés dans cette décision concerne la détermination de la rigidité des « ailettes » inférieures dun’agitateur central de la laveuse. Est-ce que le mot « ailettes » utilisé dans la revendication se référait à des ailettes rigides ou flexibles ou aux deux types?

Suivant l’approche téléologique dans l’affaire Whirlpool, il a été déterminé que les ailettes inférieures de l’agitateur, définies par les revendications du premier brevet, se devaient d’être rigides. Suivant cette interprétation, la Cour a ensuite déterminé qu’un deuxième brevet spécifiant des ailettes flexibles était par conséquent valide.

De retour en 2013, les examinateurs canadiens ont commencé, de manière plus fréquente, à interpréter les revendications en cours d’examen. La plupart du temps cette interprétation est faite afin de déterminer si elles sont admissibles à la protection par brevet. Au Canada, certains sujets sont exclus de la protection par brevet (principe scientifique ou conception théorique ainsi que les méthodes fondées sur l’exercice des habilités professionnelles (les méthodes de traitement médical par exemple)). Mais certains examinateurs canadiens, vraisemblablement en fonction de la position du Commissaire, dans la décision d’Amazon et des notes de pratique précédemment émises par le Commissaire, n’utilisaient pas l’approche téléologique prescrite par les arrêts de la Cour Suprême. Cette pratique un peu cavalière de la part de certains examinateurs a causé, entre autres, une certaine confusion auprès de certains demandeurs de droits par brevets canadiens puisque certaines revendications, traditionnellement considérées comme étant éligibles à la protection par brevet (méthode de diagnostic et même composées pour usage thérapeutique), pouvaient désormais être considérées comme étant inadmissibles à la protection par brevet.

Par conséquent, pour ramener ses brebis au bercail (et avouons-le, devant le tollé populaire causée par cette pratique), le Commissaire a rectifié le tir et a émis une nouvelle note de pratique à ses examinateurs leur rappelant que l’approche à utiliser pour interpréter des revendications doit se fonder sur les principes établis il y a une douzaine d’années, par la Cour Suprême. Les revendications, même en cours d’examen à l’OPIC, doivent être interprétées selon l’approche téléologique en fonction de l’enseignement du mémoire descriptif et des connaissances générales du domaine. C’est un pas dans la bonne direction, du moins pour les demandeurs de droits par brevets.

Toutefois, dans cette même note de pratique, le Commissaire introduit une variable supplémentaire dans l’interprétation des revendications : l’approche problème/solution. Selon son interprétation des décisions de la Cour Suprême, le Commissaire indique que les revendications se doivent d’être une solution à un problème posé dans le mémoire descriptif. Cette approche problème/solution, traditionnellement utilisée en Europe, n’a toutefois pas, selon mon humble avis, reçu l’aval explicite des Cours canadiennes. Il semble également ardu d’introduire cette approche problème/solution dans l’interprétation téléologique des revendications : comment un problème donné peut-il guider l’interprétation d’une revendication?

Face à cette guerre de principes liée aux précédents établis par la Cour Suprême il y a plus de douze ans, il est selon moi important de continuer à réitérer aux examinateurs canadiens, à leurs chefs de division et au Commissaire de l’OPIC qu’au Canada, la téléologie prime et se doit d’être respectée.