Auteur: Erika Bergeron-Drolet

L’ouverture d’un « Dumb Starbucks Coffee » à Los Feliz en Californie a récemment créé un buzz dans les médias et les réseaux sociaux. Il s’agit d’un café en tout point identique aux véritables cafés Starbucks (logo, décor, menu, uniformes des baristas…), sauf pour l’ajout du mot « Dumb ». On y offre notamment des « Dumb Frappuccinos » et des « Dumb Chai Lattes » en format Dumb Venti, Dumb Grande et Dumb Mezzo. On peut même y trouver des CDs comme « Dumb Norah Jones Duets » ou « Dumb Jazz Standards ».

Le « Dumb Starbucks Coffee » n’est aucunement affilié à Starbucks Corporation. Il s’agit d’une initiative du comédien canadien Nathan Fielder. Ce dernier soutient être en droit d’utiliser le logo et la marque enregistrée de Starbucks en vertu de la doctrine de l’ « utilisation équitable ». Celle-ci permet au public d’utiliser une œuvre pour de fins de parodie, entre autres, sans le consentement du titulaire des droits dans l’œuvre originale. Fielder dit qu’en ajoutant le mot « Dumb », il se trouve techniquement à se moquer de Starbucks et donc, à en faire une parodie protégée par l’exception d’utilisation équitable. Fielder présente d’ailleurs son « café parodique » comme une galerie d’art dont les oeuvres sont les cafés servis aux clients.

À ceux qui croyaient voir dans le « Dumb Starbucks Coffee » une critique inusitée de l’entreprise multinationale ou un commentaire social mordant sur le mode de vie boho-chic, détrompez-vous. Fielder affirme sans hésiter qu’il utilise le logo et la marque de Starbucks à des fins purement promotionnelles, soit pour attirer les consommateurs dans son café. Il assure ne pas réellement vouloir traiter les authentiques cafés Starbucks d’idiots, et va même jusqu’à dire que cette compagnie est un modèle à suivre: «Unfortunately, the only way to use their intellectual property under fair use is if we are making fun of them. So the “dumb” comes out of necessity, not enmity.»

Les autorités sanitaires ont fermé le « Dumb Starbucks Coffee » peu après son ouverture faute d’avoir les permis requis.

En fin de compte, il semblerait que le « Dumb Starbucks Coffee » ne soit rien d’autre qu’une opération publicitaire destinée à promouvoir la nouvelle émission de télévision de Fielder sur le réseau Comedy Central. Ceci dit, cette affaire soulève des questions intéressantes sur les limites de la notion de parodie, tant en droit d’auteur qu’en marques de commerce.

Droit d’auteur

Jusqu’à tout récemment, les cours canadiennes refusaient traditionnellement de reconnaître la parodie comme une utilisation équitable d’une oeuvre en vertu de l’article 29 Loi sur le droit d’auteur. Ainsi, le fait qu’une oeuvre soit une parodie ne pouvait faire échec à un recours en contrefaçon de droit d’auteur. Par exemple, dans Productions Avanti-Ciné-Vidéo Inc. c. Favreau, la Cour d’appel du Québec a conclu que la production d’une version érotique de la populaire émission La Petite Vie constituait une violation de droits d’auteur puisqu’il y avait reproduction d’une partie importante de l’oeuvre originale, rejetant la défense de parodie.

L’article 29 de la Loi sur le droit d’auteur a récemment été amendé pour y ajouter la parodie et la satire au nombre des formes d’utilisation équitable reconnues. L’amendement est en vigueur depuis le 7 novembre 2012, et n’a pas encore fait l’objet d’interprétation par les cours canadiennes.

Pour évaluer si l’utilisation d’une œuvre est équitable, les cours considèrent les facteurs suivants: (1) le but et les motifs réels de l’utilisation; (2) la nature de l’utilisation; (3) la quantité et l’importance de la portion utilisée par rapport à l’ensemble de l’oeuvre originale; (4) l’effet de l’utilisation sur le marché potentiel de l’oeuvre originale ou sur sa valeur; (5) la nature de l’oeuvre en question; et (6) la présence d’alternatives à l’utilisation.

Si le « Dumb Starbucks Coffee » avait été ouvert au Canada, il semble difficile de concevoir qu’il aurait pu être considéré comme une parodie au sens de l’article 29 et ainsi échapper à sa responsabilité pour violation des droits d’auteur de Starbucks.

D’abord, le but avoué de l’utilisation de la propriété intellectuelle de Starbucks est purement commercial. Fielder admet candidement qu’il utilise le logo de Starbucks uniquement car il est connu et attire l’attention des consommateurs, et qu’il n’a aucune intention de critiquer ou de ridiculiser Starbucks. Cela va à l’encontre de l’essence même de la parodie, qui est de reprendre, imiter ou exagérer des éléments d’une œuvre originale de manière humoristique ou burlesque afin d’offrir un commentaire ou une critique. Ensuite, le « Dumb Starbucks Coffee » reproduit presque intégralement tous les éléments que l’on retrouve dans un véritable café Starbucks et offre les mêmes biens. Il n’y a presque aucune valeur ajoutée ou apport original de Fielder. Enfin, les deux cafés se trouveraient à être des compétiteurs directs et à se disputer le même marché. La valeur des véritables cafés Starbucks en serait probablement diminuée. Quant aux alternatives à l’utilisation de la propriété intellectuelle de Starbucks, elles sont pratiquement infinies.

Marques de commerce

Starbucks Corporation bénéficie d’un portefeuille de centaines de marques au Canada. Selon le magazine Forbes, STARBUCKS se classe au 76ième rang des marques de commerce les plus précieuses au monde avec une valeur de 6.9 milliards de dollars. Il s’agit de la deuxième marque ayant le plus de valeur dans le domaine de la restauration, après McDonalds.

L’utilisation parodique d’une marque de commerce ne permet pas, en soi, de faire échec à une poursuite en vertu de la Loi sur les marques de commerce. Cela peut cependant influencer l’évaluation des critères à remplir pour réussir un recours.

Par exemple, dans le cas d’une poursuite en contrefaçon d’une marque de commerce, le requérant doit notamment démontrer que (1) le contrefacteur a employé la marque en tant que marque de commerce en liaison avec ses propres biens et services, et (2) qu’il y a confusion quant à l’origine des biens et services du contrefacteur. La confusion est évaluée selon le standard de la première impression d’un consommateur moyen au souvenir imparfait. Ainsi, si une personne crée une marque parodique sans pourtant l’utiliser dans le cours normal des affaires en liaison avec des biens et services afin de distinguer leur origine, il n’y a pas de contrefaçon. C’était notamment le cas dans Michelin c. Caw, où la Cour fédérale a confirmé que l’utilisation par un syndicat d’une parodie du fameux Bibendum (le « bonhomme Michelin »), l’air défiant et prêt écraser des employés, sur des pamphlets ne constitue pas un emploi de la marque au sens de la Loi sur les marques de commerce. De même, s’il est démontré que le consommateur moyen réalise qu’une marque n’est que la parodie d’une autre et donc, que les biens du parodiste ne proviennent pas du détenteur de la marque originale, le critère de confusion ne peut être satisfait et le recours en contrefaçon doit échouer.

Dans le cas de « Dumb Starbucks Coffee », de bons arguments pourraient être avancés à l’effet qu’il y a contrefaçon. D’abord, la marque Starbucks semble être employée en tant que marque de commerce. Ensuite, l’existence de confusion peut être supportée par le fait que la marque Starbucks est bien connue et distinctive, les biens offerts sont identiques et l’environnement du café parodique reproduit presque intégralement les éléments distinctifs des véritables cafés Starbucks.

Une autre avenue serait un recours en dépréciation de l’achalandage en vertu de l’article 22 de la Loi sur les marques de commerce. Cet article permet au détenteur d’une marque enregistrée de poursuivre quiconque utilise sa marque de sorte à déprécier la valeur de son achalandage. Encore là, le requérant doit démontrer que le contrefacteur a employé sa marque en liaison avec des biens et services dans la pratique normale du commerce. Ainsi, une marque parodiée qui n’est pas employée commercialement échapperait à un recours en dépréciation de l’achalandage. Ce recours serait probablement intéressant dans le cas de Starbucks, compte tenu de l’utilisation commerciale de la marque Starbucks et de la dilution causée par le « Dumb Starbucks Coffee ».

En somme, il ne suffit pas de s’auto-proclamer parodiste pour bénéficier de l’exception d’utilisation équitable et profiter de la valeur de la propriété intellectuelle d’autrui en toute impunité. Sinon, à quand un restaurant Moronic McDonald’s, des meubles Idiot IKEA, des yogourts Dimwitted Danone, un camion Foolish Ford, ou des céréales Cretinous Kellogg’s ?