La Cour Suprême a publié aujourd’hui les motifs de sa décision dans l’affaire CAR-FAC / RAAV contre le Musée des Beaux-Arts du Canada.

En vertu de la Loi fédérale sur le statut de l’artiste (la « LSA »), le Tribunal canadien des relations professionnelles artistes-producteurs a accrédité CAR-FAC (Canadian Artists Representation / Front des Artistes Canadiens) et le RAAV (Regroupement des artistes en arts visuels) comme organisations représentatives des artistes canadiens en arts visuels.

En 2003, CAR-FAC et le RAAV ont entrepris des négociations avec le Musée des Beaux-Arts du Canada (MBAC) sur les conditions d’embauche des artistes. Plusieurs conditions avaient trait à la rémunération des artistes pour l’utilisation d’œuvres déjà créées, notamment pour leur reproduction et pour leur exposition en public,  deux droits qui sont reconnus aux auteurs d’œuvres artistiques en vertu de la Loi sur le droit d’auteur (la « LDA »).

Mais plusieurs auteurs d’œuvres artistiques ont cédé leurs droits de reproduction et d’exposition en public à des tiers, en particulier à des sociétés de gestion collective du droit d’auteur. La question se pose donc si CAR-FAC et RAAV peuvent prétendre négocier par-dessus les cessionnaires des droits d’auteur. La question soulève aussi le problème de la rivalité, dans le domaine du droit d’auteur, entre la LSA et la LDA qui sont toute deux de compétence fédérale. L’une a-t-elle préséance sur l’autre? Par exemple, le Tribunal canadien des relations professionnelles artistes-producteurs peut-il donner à des associations professionnelles l’exclusivité de la négociation de tarifs de redevances à percevoir pour l’exploitation d’un droit d’auteur alors que les auteurs ont cédé leurs droits d’auteur à des sociétés de gestion collectives qui sont plutôt assujetties à la Commission du droit d’auteur qui a vocation à homologuer de tels tarifs?

Pendant les négociations avec CAR-FAC et le RAAV, le MBAC a reçu un avis juridique concluant que CAR-FAC et le RAAV n’étaient pas habilités à négocier des droits d’auteur. En 2007, quatre ans après le début des négociations, le MBAC a donc reformulé l’accord-cadre qui lui était proposé, pour en soustraire toute mention de droit d’auteur. CAR-FAC et le RAAV s’en sont plaints au Tribunal qui a décidé que le MBAC n’avait pas «négocié de bonne foi» puisque son changement d’attitude n’était fondé que sur un seul avis juridique, que ce changement de position intervenait plusieurs années après le début des négociations et que le MBAC n’était pas sans savoir que CAR-FAC et le RAAV n’auraient d’autre choix que de rejeter la nouvelle proposition.

En contrôle judiciaire de cette décision, la Cour d’appel fédérale a, dans une décision majoritaire, annulé la décision du Tribunal. La Cour suprême l’a réinstaurée sur le banc le 14 mai dernier et a déposé les motifs de sa décision aujourd’hui, 12 juin. C’est le juge Rothstein qui écrit la décision de la Cour unanime.

Appliquant la norme de contrôle dite de la décision «raisonnable» plutôt que la norme dite de la décision «correcte», le juge Rothstein pose d’abord la question de savoir «si le Tribunal pouvait raisonnablement conclure que les ‘prestations de services des artistes’ mentionnées dans la définition ‘d’accord-cadre’ dans la LSA comprennent les prestations d’œuvres existantes» (parag. 15).

Le juge Rothstein trouve convaincante l’analogie proposée par le juge Pelletier, qui avait été dissident en Cour d’appel fédérale, selon laquelle les artistes sont, face à ceux qui utilisent leurs œuvres, dans une position analogue à celle des hôtels et des agences de location de voitures qui offrent un service en permettant à des tiers d’utiliser leurs biens. Le Tribunal pouvait donc raisonnablement conclure que les «prestations de services» dans la LSA comprennent la cession ou la concession de licences de droit d’auteur.

Le juge Rothstein passe alors à la deuxième question, à savoir si cette première conclusion crée un conflit avec la LDA. Le juge établit d’abord qu’il faut présumer que le législateur a voulu éviter que la LSA et la LDA soient en conflit. Conséquemment, il faut lire les deux lois «de façon à ce qu’elles puissent s’appliquer de manière complémentaire» (parag. 21).

Selon la Cour, la décision d’accorder ou non une licence de droit d’auteur appartient toujours au titulaire du droit d’auteur mais cela n’empêche pas les associations d’artistes de négocier avec les utilisateurs une sorte de «salaire minimum». D’ailleurs, le jugement précise que les parties, la LSA et la jurisprudence du Tribunal vont toutes dans le même sens, savoir que «les accords-cadres ne lient pas les sociétés de gestion» (parag. 24). Et le juge Rothstein de préciser que «La LSA ne régit (…) que les artistes, dans la mesure où ils choisissent de conserver leurs droits d’auteur.»

Cela évidemment mène à une autre conclusion que le juge Rothstein énonce clairement : les artistes ont soit la possibilité de céder leurs droits d’auteur à une société de gestion, auquel cas ce seront les tarifs fixés sous la LDA qui s’appliqueront, soit de traiter directement avec les utilisateurs, auquel cas ils seront liés par l’accord-cadre négocié sous la LSA.

Il sera donc intéressant de voir si une sorte de concurrence s’installera maintenant entre les sociétés de gestion de droit d’auteur et les associations professionnelles d’auteurs et, si elle s’installe, de voir si elle mènera à une bonification ou à un autre affaiblissement de la position des auteurs.