Merci à Fortunat Nadima Nadima, étudiant à notre bureau de Montréal, d’avoir écrit ce billet sur l’importance de la protection par brevets dans le domaine du diagnostic médical.

Le 1er juin dernier, de nombreux médias ont souligné un fait marquant dans le classement des milliardaires Forbes 2016 : la disparition du nom d’Élizabeth Holmes, fondatrice et PDG de Theranos, une startup américaine spécialisée en tests diagnostiques sanguins. Le magazine Forbes a revu ses calculs et estime désormais la fortune de Holmes, non pas à 4,5 milliards de dollars comme l’année dernière, mais bien à zéro dollar.

Theranos avait la grande ambition de bouleverser l’industrie des méthodes diagnostiques en offrant des tests sanguins abordables, rapides, sans douleur et ne nécessitant que quelques gouttes de sang, le tout grâce à la technologie hautement secrète de ses appareils Edison™. Or, les événements des derniers mois ont fortement bouleversé les plans de Theranos, dont la valeur estimée est passée de 9 milliards de dollars à 800 millions de dollars.

L’automne dernier, une enquête du Wall Street Journal a soulevé de sérieux doutes quant à la fiabilité des tests de Theranos. Depuis, la compagnie fait l’objet d’enquêtes de la part des autorités américaines en réglementation des valeurs mobilières et des laboratoires de tests sanguins. En mai 2016, Theranos a annoncé avoir dû corriger plusieurs résultats de tests sanguins effectués à l’aide de ses appareils Edison™ en 2013 et 2014. Il s’agit là de dizaines de milliers de résultats à cause desquels des patients ont été exposés à des traitements inutiles, tandis que d’autres ont été privés de traitements nécessaires. Pas moins de trois recours collectifs fondés sur des allégations de fraude contre les consommateurs, de rupture de contrat, de publicité mensongère, d’enrichissement injustifié et de compétition déloyale ont été intentés contre Theranos depuis cette annonce. Enfin, le mois dernier, Theranos a perdu son partenariat avec la chaine de pharmacie Walgreens qui avait investi 50 millions de dollars dans la startup, sans consulter la moindre donnée clinique, et qui hébergeait quarante Theranos Wellness Centers en Arizona et en Californie.

Hollywood planifie déjà un film qui racontera la montée et la chute d’Elizabeth Holmes : la jeune entrepreneure (interprétée par Jennifer Lawrence) qui, à 19 ans, abandonna ses études de chimie à l’université Stanford pour lancer une entreprise dont le succès a fait d’elle, temporairement, la plus jeune milliardaire non héritière au monde.

Cependant, ce qu’il faut retenir de l’affaire Theranos, c’est surtout l’importance des brevets et de la divulgation des données dans le domaine diagnostique. Dans un excellent billet précédent sur ce blogue, ma collègue Marie-Hélène Rochon discutait de l’impact des arrêts Mayo c. Prometheus et AMP c. Myriad de la Cour Suprême des États-Unis qui ont restreint l’éligibilité des méthodes diagnostiques à la protection par brevet. Cette jurisprudence a été appliquée de façon très stricte par le United States Patent and Trademark Office de telle façon qu’il est maintenant beaucoup plus difficile de breveter des méthodes diagnostiques. De manière parallèle, l’Office de la propriété intellectuelle du Canada a également révisé sa pratique concernant les méthodes de diagnostic médical en limitant l’éligibilité à la protection par brevet de ces dernières.

Or, en limitant la protection par brevet pour les méthodes diagnostiques, les compagnies œuvrant dans le domaine diagnostique perdent un incitatif important à divulguer leurs données. En effet, le système de brevet favorise cette divulgation en accordant, en échange, une protection temporaire aux innovateurs. Dans le domaine des méthodes diagnostiques, la divulgation est particulièrement importante non seulement pour promouvoir l’innovation, mais aussi pour valider des méthodes et outils dont les résultats influencent les décisions médicales.

L’affaire Theranos doit tirer la sonnette d’alarme quant aux conséquences à prévoir quand le secret industriel devient la principale méthode de protection pour les méthodes diagnostiques. Certes, Theranos a soumis plusieurs demandes des brevets au cours des dernières années, mais la compagnie s’est assurée qu’aucune information publique ne permette ni aux experts indépendants ni aux investisseurs de vérifier si et comment sa technologie Edison™ fonctionne. C’était sa manière de protéger sa propriété intellectuelle.

Heureusement, dans le feu de la controverse, les dirigeants de Theranos savent qu’ils ne peuvent plus continuer à exiger une confiance aveugle de la part du public. Le 1er août prochain, au congrès annuel de l’Association américaine de chimie clinique, Elizabeth Holmes présentera pour la première fois les recherches scientifiques expliquant les technologies de Theranos devant des experts. Ce pas tardif dans la bonne direction laissera toutefois un goût amer à certains. Après tout, la divulgation d’information devrait idéalement servir de stimulus à l’innovation, et non pas de méthode de gestion de crise de relations publiques.