Par: Élif Oral
Pour ce premier billet au retour de la période des Fêtes, riche et abondante en plaisirs de toutes sortes, il nous a semblé plus qu’adéquat d’aborder un sujet qui fait le bonheur de tous et ce, depuis le début des temps : le plaisir gustatif ! En effet, la cuisine sous toutes ses formes (traditionnelle, gastronomique, moléculaire, etc.) captive l’imagination et les sens de l’homme depuis que celui-ci sait manier un couteau et constitue un art traditionnel en évolution constante, qui ne laisse personne indifférent.
Et depuis quelques années, force est de constater que l’art culinaire est devenue une véritable industrie, très compétitive et lucrative. Les livres de recettes, les émissions de cuisine, les compétitions entre chefs et les restaurants avant-gardistes se succèdent à un rythme surprenant et les consommateurs en redemandent ! Les Ricardo et les Gordon Ramsay de ce monde ont d’ailleurs acquis un statut de « star » et même de « sexe symbole » … pour certaines, du moins !
Dans la foulée de cette industrie culinaire florissante, plusieurs nouveaux arrivants se demandent comment tirer leur épingle du jeu tandis que les chefs et restaurateurs notoires cherchent à protéger leurs recettes et leurs plats vedettes.
On peut donc se demander : à qui appartiennent les recettes et les plats ? Sont-ils protégés par une des formes reconnues de propriété intellectuelle ? Autrement dit, est-ce que tout amateur de cuisine peut décider d’exploiter un restaurant qui ne servirait que des plats « à-la-Gordon-Ramsay » et en tirer profit ?
Malheureusement, les formes actuelles de propriété intellectuelle que sont la marque de commerce, le droit d’auteur, les brevets et les dessins industriels sont mal adaptées aux réalités du monde culinaire.
Certes, le droit d’auteur protège les livres de recettes, les émissions de cuisine (radio, télévision), mais ne peut protéger la recette individuelle en soi (ingrédients, quantités, méthodes) car celle-ci est considérée comme étant une idée, et non comme l’expression de l’idée. Ainsi, libre à tout individu de préparer et de vendre les recettes proposées par un autre pour démarrer son entreprise culinaire, tant qu’il ne s’approprie pas la marque de commerce de ce dernier.
De plus, celui qui voudra breveter sa recette culinaire devra démontrer que celle-ci est nouvelle. Or, la plupart des recettes sont dérivées de recettes antérieures et nécessitent le savoir-faire du chef, ce qui ne peut être breveté. Pire encore, la recette devra aussi être utile pour être brevetable, et cette utilité devra se démarquer de simplement « nourrir » ou « procurer un plaisir gustatif ». Ainsi, le régime des brevets convient davantage aux recettes industrielles, qui utilisent des procédés techniques pour accomplir un objectif précis, et non à la recette de restaurant, qui est une création du chef destinée à donner du plaisir à celui qui a le bonheur de l’engloutir.
Par conséquent, le meilleur moyen de protéger sa recette et son plat vedette est… de ne pas en dévoiler le secret ! Ainsi, les chefs et les restaurateurs qui souhaitent conserver leur avantage culinaire devraient prendre tous les moyens nécessaires pour garder secrètes leurs recettes : mettre sous clé et restreindre l’accès à l’information sensible, limiter la divulgation à quelques employés clés et surtout, exiger la signature de conventions de confidentialité et de non concurrence de ceux qui deviendront des initiés.
Il faut également être prudent à savoir à qui on divulgue le secret de commerce car, une fois dévoilé, il appartiendra à tout un chacun. Encore faut-il posséder le talent culinaire pour l’exécuter, mais il s’agit d’un tout autre débat !
Finalement, il est essentiel pour le chef cuisinier et pour le propriétaire du restaurant de s’entendre à l’avance, et idéalement par écrit, sur la propriété des nouvelles recettes qui seront créées. En vertu des lois, les recettes inventées par un employé embauché à cette fin dans le cadre de ses fonctions appartiennent à l’employeur, qui peut en tirer profit comme bon lui semble… mais en pratique, les chefs seront tentés d’avoir le dernier mot car, après tout, il s’agit de leur savoir-faire et de leur art.
Donc, allez, vos chaudrons n’attendent que vos élans culinaires pour vous montrer ce dont ils sont capables ! Mais au cas où vous auriez un certain talent dans le domaine, n’oubliez pas de conserver jalousement le secret de votre succès… ou de faire signer une entente de confidentialité à ceux qui pourraient s’aventurer dans votre cuisine au gré des odeurs qui s’en échappent !
Bon appétit !