Aujourd’hui, 3 décembre, doit s’ouvrir à Auckland (Nouvelle-Zélande), le 15e round de négociations au sujet de l’éventuel accord de libre-échange appelé Trans-Pacific Strategic Economic Partnership (le « TPP »).

Comme pour l’ACTA[1] et le CETA[2], le TPP est un accord négocié dans le plus grand secret à l’extérieur des institutions internationales et qui, à cause justement de ce manque de transparence, est extrêmement controversé.

C’est en 2005 que le Bruneï (petit état enclavé sur l’île de Bornéo, de son vrai nom État de Brunei Darussalam), le Chili, la Nouvelle-Zélande et Singapour ont commencé à négocier un accord de libre-échange très englobant.  Les USA se sont invités aux discussions en 2008 puis, la même année, le cercle s’est élargi à l’Australie, au Viet Nam et au Pérou.  En 2010, la Malaisie s’est jointe aux négociations et, finalement, en 2012, le Mexique suivi du Canada.

Parce que l’Union européenne n’est pas de la partie, on considère que le TPP est plus facilement négociable.  Mais comme le Canada prend le train en marche, il pourrait ne pas pouvoir négocier les chapitres de l’accord qui auraient déjà été conclus.  Or, justement, comme l’accord est négocié en secret, on ne sait pas ce qui a été conclu et ce qui est encore l’objet de discussions.

Toutefois, on peut présumer que, sur le plan du droit d’auteur, le TPP sera dans la ligne de ce qui s’est négocié à l’ACTA et qui se négocie probablement en parallèle au CETA, savoir :

  • une extension de la durée de protection, en particulier pour les enregistrements sonores
  • la responsabilité des fournisseurs de services Internet, y compris quand ils jouent un rôle passif
  • la confirmation que le droit de « mise à disposition » introduit par les Traités de l’OMPI de 1996 est un droit « exclusif » d’autoriser ou d’interdire
  • le renforcement aux frontières des mesures de contrôle des contrefaçons, et
  • la lutte contre la piraterie sur Internet.

En Nouvelle-Zélande, les Verts s’opposent fermement à l’accord, surtout parce qu’on y trouve apparemment le droit pour les sociétés commerciales de poursuivre directement les États devant des panels d’arbitrage constitués d’avocats (plutôt que devant des juges nationaux et impartiaux).  Mais en plus on se rappellera que, sur le plan du droit d’auteur, la Nouvelle-Zélande a modifié récemment son Copyright Act pour permettre les importations parallèles[3] de livres et d’enregistrements sonores alors que le TPP, dans son chapitre sur le droit d’auteur, vise probablement à interdire radicalement de telles importations. On ne se surprendra donc pas que l’opposition fasse rage en Nouvelle-Zélande où, ironiquement, commence le 15e round de négociations.

En ce qui concerne le Canada, la International Intellectual Property Alliance[4], témoignant en septembre dernier devant le US Trade Representative rappelait aux négociateurs américains qu’ils devaient profiter de la négociation du TPP pour amener le Canada à apporter des améliorations jugées nécessaires à sa Loi sur le droit d’auteur, même dans sa version post C-11. La IIPA propose comme modèle le récent accord de libre-échange négocié entre les USA et la Corée.  Chose intéressante, elle s’inquiète vivement de toutes les exceptions au droit d’auteur qui sont introduites par C-11 et qui, selon la IIPA, sont contraires au «test en trois étapes» de Berne, de l’ALENA et des ADPICs.

Mais, pour ceux qui penseraient que la IIPA est une amie des producteurs canadiens de contenu, il faut aussi noter qu’elle se plaint des quotas de contenu canadien à la radio et à la télévision.

Vu le secret qui entoure les négociations du TPP, Il est difficile de savoir ce que contient le chapitre sur le droit d’auteur mais, à en juger par les montées de lait de Michael Geist et autres tenants du Free Culture, on peut penser que l’effort actuel mené sur plusieurs fronts (ACTA, CETA, TPP) par les créateurs de contenus et en particulier par les majors américains vise essentiellement à un renforcement du copyright.  Cela, on le sait, n’est pas nécessairement la même chose qu’un renforcement du droit d’auteur.  Ainsi, par exemple, on ne s’attendra pas à trouver dans aucun de ces accords une exigence de respecter le droit moral des auteurs. Mais, en cette époque où même notre Cour Suprême traite le droit d’auteur comme si c’était un frein à l’innovation technologique, on ne refusera pas un peu d’aide, même si cette aide nous vient de l’ordre marchand.

 CB


[1] Anti-Counterfeiting Trade Agreement

[2]  Canada-European Union Comprehensive Economic and Trade Agreement

[3]  les « importations parallèles »  sont des importations d’objets licitement mis quelque part sur le marché par le titulaire des droits mais que le titulaire interdit dans d’autres marchés afin d’y vendre une édition plus coûteuse.

[4] La IIPA est composé de l’Association of American Publishers, de la Business Software Alliance, de la Entertainement Software Association, de l’INdependent Film & Television Alliance, de la Motion Picture Association of America, de la National Music Publishers Association et de la Recording Industry Association of America.