Par: Marie-Hélène Rochon

La compagnie Monsanto commercialise depuis plusieurs années maintenant des semences génétiquement modifiées afin d’être résistantes à l’herbicide Roundup® (également commercialisé par Monsanto). La culture de ces semences permet au fermier d’utiliser une quantité plus élevée d’herbicide afin d’éliminer les mauvaises herbes tout en permettant la croissance vigoureuse des plants.

Bien que la vente des semences brevetées de Monsanto soit strictement contrôlée, il arrive que ces semences « contaminent » (de manière tout à fait fortuite) d’autres semences.  Et Vernon Bownman devait s’en douter (et peut-être même l’espérer).

Vernon est un fermier de l’Indiana qui a acheté, dans un marché local, un lot de semences. Vernon a planté les semences achetées et a appliqué l’herbicide Roundup® sur les plants. Les actes posés par Vernon ont permis de sélectionner des plants résistants à l’herbicide et d’obtenir des semences résistantes à l’herbicide. Vernon a récolté ces semences et les a replantées. Ayant eu vent des agissements du fermier, Monsanto poursuit maintenant Vernon pour contrefaçon de brevet.

Vernon est d’avis qu’il ne fait pas contrefaçon aux brevets de Monsanto. Selon lui, Monsanto cesse d’avoir des droits sur les semences brevetées au moment où les semences sont vendues.

La position de Vernon est supportée par une doctrine relativement bien établie où les droits conférés par les brevets expirent lors de la vente du bien breveté. Cette doctrine, appelée « patent exhaustion » ou « épuisement des droits conférés par le brevet », permet à l’acheteur d’un produit breveté de ne pas être poursuivi en contrefaçon lorsqu’il utilise le produit breveté. Grosso modo, selon cette doctrine, la vente légitime d’un produit breveté empêcherait le détenteur des droits par brevets de poursuivre l’acheteur pour contrefaçon de brevet lorsque ce dernier utilise le produit breveté.

Selon Vernon (et son équipe d’avocats), cette doctrine s’applique sur les semences brevetées de Monsanto qu’il a utilisées. Selon les avocats de Vernon, un premier tiers a antérieurement acheté les semences brevetées de Monsanto et ainsi « épuisé » les droits conférés par le brevet pour tous les utilisateurs subséquents. Par la suite, ces semences brevetées se sont inopinément retrouvées dans un lot de semences vendu par un deuxième tiers et acheté par Vernon. Selon l’équipe de Vernon, Monsanto ne peut plus se prévaloir des droits conférés par ses brevets puisqu’ils ont été « épuisés » par la vente initiale et légitime au premier tiers.

Monsanto n’est pas du tout d’accord avec l’interprétation de Vernon sur l’épuisement des droits conférés par les brevets. Monsanto est d’avis que l’épuisement des droits conférés par les brevets qui a lieu lors de la vente légitime de ses semences ne donne pas le droit à l’acheteur d’utiliser les semences brevetés d’en générer des « copies » (i.e. d’autres semences) et de les réutiliser ou les revendre. Sinon, quel serait l’intérêt de Monsanto de protéger ses semences modifiées par brevet? Toujours selon Monsanto, le « recopiage » de semences brevetées, même achetées légitimement, est un acte clair de contrefaçon.

Jusqu’à date, les cours de première instance et d’appel ont donné raison à Monsanto : l’épuisement des droits conférés par les brevets ne donnerait pas à l’acheteur des droits de reproduction (i.e. de recopiage) des semences. La Cour Suprême est en train de se pencher sur la question et a entendu les plaidoyers oraux de chacune des parties le 20 février dernier. On a, entre autre, demandé à la Cour si et comment l’épuisement des droits conférés par les brevets s’appliquait à du matériel ayant le pouvoir intrinsèque de se reproduire (i.e. des semences).

Il est également intéressant de mentionner que Monsanto étiquette l’emballage de ses semences afin d’y indiquer qu’il n’est pas permis de récolter les semences brevetées et les replanter. Reste à voir comment la Cour Suprême interprétera la validité et la portée de cette clause.

L’avis de la Cour Suprême sur la question est attendu au courant du mois de juin.