Par : Awa Carole Diop

Suite à la décision Amazon.com  (2010 FC 1011, 2011 FCA 328), le Bureau des brevets canadien a révisé ses pratiques en matière d’examen et de nouvelles directives (PN2013-02 et PN2013-03) ont été publiées le 8 mars 2013. Celles-ci invitent à user de prudence quant aux approches contenues dans certaines sections de la « Bible » des examinateurs, i.e. le Recueil des pratiques du Bureau des brevets (RPBB). Il est notamment indiqué que les approches invoquant la « contribution » inventive d’une revendication ou rendant obligatoire une « solution technologique à un problème technologique » pour déterminer si l’objet d’une revendication est brevetable n’ont plus cours.

Selon les nouvelles directives, les examinateurs doivent déterminer le « problème que les inventeurs visent à résoudre» et « la solution proposée» afin de déterminer la nature de l’invention. Pour les inventions mises en œuvre par ordinateur, les examinateurs doivent notamment distinguer un « problème d’ordinateur », c’est-à-dire un problème avec le fonctionnement d’un ordinateur, d’un problème qui n’est pas un « problème d’ordinateur », c’est-à-dire un problème dont la solution pourrait être mise en œuvre à l’aide d’un ordinateur.

Les facteurs suivants peuvent indiquer l’existence d’un « problème d’ordinateur » :

  • la description précise un problème spécifique avec le fonctionnement d’un ordinateur;
  • la solution au problème implique de contrôler une puce, une composante du système ou un élément de l’architecture technique grâce à un micrologiciel, par exemple (logiciel enfoui);
  • la description insiste sur les défis ou les défauts dans les anciens ordinateurs;
  • un niveau élevé de détail est accordé à la description des détails techniques tels que l’algorithme ou la logique réalisés par l’ordinateur.

Les facteurs suivants peuvent indiquer l’existence d’un problème qui n’est pas un « problème d’ordinateur » :

  • des énoncés explicites dans la description laissant supposer un problème autre qu’un « problème d’ordinateur »;
  • l’absence de toute indication explicite dans l’application selon laquelle tout problème pratique en lien avec l’opération d’un ordinateur a été résolu;
  • une absence relative de détails techniques, malgré une indication dans la description que la solution soit mise en oeuvre sur un ordinateur.

Lorsque le problème n’est pas un « problème d’ordinateur », les nouvelles directives indiquent que « l’examinateur doit examiner attentivement si l’ordinateur est essentiel à la solution ou s’il est utilisé simplement pour des raisons de commodité et même après coup ». Si l’ordinateur ne peut être modifié ou substitué sans changer la façon dont l’invention fonctionne, l’ordinateur sera considéré comme essentiel à la solution. L’invention sera alors généralement brevetable. Par contre, si l’examinateur peut conclure que l’ordinateur n’est pas essentiel, l’invention ne sera pas brevetable. Ce sera le cas, par exemple, si la solution au problème consiste à réaliser des calculs selon une équation donnée et qu’un ordinateur est utilisé pour accélérer les calculs. Dans ce cas, les calculs atteindraient le même résultat s’ils étaient faits mentalement ou avec un papier et un crayon et l’ordinateur ne sera donc pas considéré comme essentiel à la solution.

Reste à voir comment les examinateurs vont mettre en pratique ces nouvelles directives, notamment comment ils vont déterminer s’ils sont face à un « problème d’ordinateur » et si un ordinateur est un élément essentiel. Par exemple, considérer qu’un ordinateur est utilisé pour des « raisons de commodité » simplement parce que les calculs pourraient être faits à la main ou mentalement peut s’avérer inapproprié dans plusieurs cas.

De plus, les nouvelles directives sont axées sur les inventions de type « technologique » mais n’apportent aucune indication quant à la position officielle du Bureau des brevets canadien sur l’admissibilité des « méthodes d’affaires » [1] à la protection par brevet. En effet, aucune jurisprudence ne permet à ce jour de conclure quant à la brevetabilité des méthodes d’affaires et le Bureau des brevets canadien a jusqu’ici eu tendance à rejeter les demandes de brevet y ayant trait. Ce point de vue a de plus en plus été remis en cause, notamment suite à la décision Amazon.comdans laquelle la Cour d’Appel Fédérale a affirmé que la loi canadienne sur les brevets n’exclut pas les méthodes d’affaires. L’approche du Bureau des brevets canadien reste pourtant incertaine pour ce qui est des méthodes d’affaires et on devrait s’attendre à une augmentation prochaine du nombre de litiges visant à clarifier la définition de ce qui est brevetable au Canada.


[1] Les méthodes d’affaires sont une classe de brevets portant sur des méthodes de faire des affaires. Elles portent sur des domaines tels que le commerce, l’économie, la comptabilité, l’assurance, la finance, le marketing…