Commençons par un point d’ordre:

Vous aurez remarqué qu’après des débuts hyperactifs, le rythme des billets publiés en ces pages a considérablement diminué ces derniers temps.

Ça s’explique par deux choses:

  • D’abord, nous avons amorcé les démarches pour amarrer notre blogue au réseau officiel de notre cabinet;
  • Ensuite, un de ceux qui utilise le plus le fouet dans notre équipe de collaborateurs pour inciter ses collègues à publier (le soussigné) était en congé à la suite de la naissance de son premier enfant que voici. Oui, j’essaie délibérément d’attirer votre sympathie avec des photos de bébé.

On vous promet de remettre en marche la machine.

En attendant, un petit compte rendu de la conférence à laquelle ont participé les deux plus prolifiques auteurs de notre blogue à la fin du mois de mai dernier. J’y parlais des changements à la Loi sur les marques de commerce qui pourraient être engendrés par le projet de loi C-56 (un sujet dont j’ai déjà parlé ici) et de plusieurs nouveautés en matière de noms de domaines. Dans le deuxième cas, ma présentation se voulait presque un cri du cœur aux propriétaires de marques.

J’y abordais deux points en particulier (qui sont, au fond, fortement reliés):

  • L’arrivée des nouveaux gTLD;
  • Le nouveau Trademark Clearing house.

A. Les Nouveaux gTLD

Les nouveaux gTLD sont cette orgie de nouveaux domaines de premier niveau que l’ICANN (l’autorité en charge du système mondial des noms de domaines) entend lancer à compter de cet été.

Alors que jusqu’à maintenant, il n’y avait qu’une poignée de gTLD (.com, .net, .org, .biz, .info parmi les plus populaires), on entend ouvrir la porte à une panoplie de nouvelles extensions, soit des .BRANDS (.apple, .ferrari), des .GEOGRAPHIC (.corsica, .london) et des .GENERIC (.beer, .law). ICANN entend lancer jusqu’à 1000 nouveaux gTLD par année.

Les propriétaires de marques ont raison de se poser la question : Comment protéger ses marques dans ce fouilli sans y perdre la tête? En commençant, j’ose avancer, par ne pas s’arracher trop de cheveux avec ça.

1) La valeur associée aux noms de domaines influencée par une vision archaïque du web

Il y a deux cas de figure contre lesquels on veut se protéger quant au mauvais usage de nos marques dans le système de noms de domaines :

  • En voulant bloquer les cyber squatteurs (des simples parasites qui souhaitent négocier un nom de domaine contre un montant d’argent aux réels compétiteurs qui veulent usurper notre achalandage);
  • En voulant empêcher les malfaiteurs qui veulent enregistrer notre marque dans un nom de domaine pour héberger un site web diffamant / parodiant / critiquant (…) notre marque ou notre entreprise.

Or, bien franchement, il m’est d’avis que l’importance du nom de domaine dans les stratégies de ces types d’usurpateurs est quasi-nul. On surévalue probablement l’importance des noms de domaines en raison de l’histoire de l’Internet. Au début de l’Internet, les engins de recherche n’étaient qu’une version virtuelle des bottins papiers : des répertoires organisant les sites web par catégorie de produit, de service ou de sujet. En simplifiant beaucoup, on peut dire que la deuxième mouture des engins de recherche triaient par pertinence en fonction du nombre d’occurrences des mots clefs recherchés dans les pages analysées. Aujourd’hui, les engins de recherche sont beaucoup plus performants. Il n’est pas nécessaire, par exemple, qu’un site web contienne un mot clef donné pour être le mieux référencé pour ce mot clef de recherche : http://en.wikipedia.org/wiki/Google_bomb).

Tout ça pour dire que les engins de recherches d’aujourd’hui sont fiables, peuvent être moins facilement manipulés et, en conséquence, sont utilisés massivement par les consommateurs. Alors qu’en 1997, un consommateur voulant acheter une « chose » présumait probablement que le site www.chose.com était nécessairement la meilleure place où acheter cette « chose », le consommateur d’aujourd’hui a plutôt tendance à chercher « chose » dans Google (ou Bing). D’ailleurs, un utilisateur du web moindrement expérimenté sait maintenant que le meilleur site web au sujet du produit ou service qu’il recherche peut autant se situer à l’adresse « www.chose.com » qu’à une adresse plus fantaisiste (www.chos.se, www.chose.biz, www.buythatchose.com) ou même sur une page sur les médias sociaux (www.facebook.com/chose, www.twitter.com/thechose).

Bref, quand bien même qu’un usurpateur ait enregistré www.chose.biz, si votre compagnie utilise un autre site pour ses activités régulières et que ce site est bien référencé dans Google, il sera très difficile pour le cyber squatteur de détourner de l’achalandage avec un site monté en trois minutes qui n’a aucune réelle activité. Et même parmi les consommateurs qui par malchance tomberont sur le site de l’usurpateur, qui sera véritablement déjoué une fois rendu sur un site de parking ou sur le site d’un compétiteur n’ayant aucun lien avec la marque recherchée?

2) Il est impossible de réserver d’avance tous les noms de domaines potentiellement pertinents et de toute façon, même si c’était possible, ça ne freinera pas les ardeurs d’une personne souhaitant vraiment vous parodier / vous diffamer

Quant au deuxième cas de figure (les parodistes, diffamateurs, critiques), le mécréant qui souhaite faire une parodie ne prendra pas la chance de simplement héberger son site à une adresse pertinente en se croisant ensuite les bras pour attendre que des visiteurs tombent sur son site en se trompant d’adresse.

Il s’assurera plutôt de diffuser son site via les médias sociaux afin que son contenu circule le plus possible. Or, on peut faire le même dommage en mettant un vidéo YouTube percutant à une adresse générique qu’avec un site hébergé à un nom de domaine provocateur.

Au surplus, la personne qui voudrait faire une parodie diffamatoire de notre blogue, par exemple, ne sera pas freinée par le fait que l’adresse www.actifscreatifs.com n’est pas disponible. Les combinaisons d’adresses contenant « actifscreatifs » (par exemple www.lesactifscreatifs.com, www.blogueactifscreatifs.com, www.actifscreatifssucks.com) sont infinies. Ce n’est pas parce qu’on protège « actifscreatifs » dans toutes les extensions de nom de domaine qu’on empêchera une personne mal intentionnée de trouver une adresse web qui lui convient et d’attirer les visiteurs en diffusant son site dans les médias sociaux.

Bref, (1) je ne suis pas certain que les noms de domaines, à eux seuls, sont un si grand outil pour détourner du traffic web et (2) il est impossible d’empêcher des tiers d’enregistrer l’infinité des noms de domaines possibles composés de combinaisons pertinentes.

Ma recommandation

  1. Réservez le plus tôt possible les noms de domaines les plus évidents qui sont disponibles pour votre entreprise. Généralement, pour une entreprise canadienne, on pourrait envisager réserver tous les gTLD « originaux » qui sont disponibles (.com, .net, .biz…) et le .ca s’il est disponible. Mais ne partons pas en peur à enregistrer tout notre portefeuille de marques sous toutes les extensions de noms de domaine possible.
  2. Si un usurpateur se pointe, ne pas paniquer et, sauf situation exceptionnelle, ne considérer vraiment des démarches légales (judiciaires ou arbitrage) que si
    1. Vous subissez un dommage tangible (par exemple un cybersquatteur qui vend des produits contrefaits sous votre marque, un compétiteur direct qui usurpe votre nom de domaine pour référer à son site et détourner vos consommateurs…)
    2. Votre entreprise a un plan d’affaires précis pour un nom de domaine donné (Ex : Votre équipe marketing veut nommer un nouveau service par un nom de domaine [tout.tv par exemple].

Autrement, tout porte à croire que l’utilisation d’un nom de domaine contenant votre marque ne vous cause à elle seule aucun dommage et détourne très peu le trafic de votre site, auquel cas il n’est probablement pas avisé en ces temps économiques incertains de dépenser pour rien pour faire cesser une pratique sans conséquence.

On me dira qu’un propriétaire de marques a le devoir de les protéger. Oui, mais dans un monde où il y aura bientôt plus de 1000 nouveaux gTLD (par année), il n’est simplement plus raisonnable d’exiger d’un propriétaire de marques qu’il réserve plus qu’une poignée de noms de domaines parmi les plus pertinents.

Dans le cas des parodistes, il est certain qu’on voudra intervenir, mais la leçon à retenir est que le fait de détenir toutes les extensions de noms de domaine possibles pour votre marque n’empêchera pas un malfaisant d’enregistrer n’importe quel autre nom de domaine contenant votre marque (blogueactifscreatifs.com, actifscreatifssucks.com). Quoiqu’il advienne, ce n’est pas tant le nom de domaine qui causera problème, mais le contenu du site et la publicité qu’il fera de son site sur les médias sociaux.

B. Le Trademark Clearinghouse

Pour rassurer les propriétaires de marques par rapport à l’arrivée massive de nouveaux noms de domaines, l’ICANN a aussi mis en place un système au nom intriguant et sérieux, le « Trademark Clearinghouse », pour assister les propriétaires de marques dans la protection de celles-ci.

Qu’est-ce que ça fait ce Trademark Clearinghouse? Moyennant le paiement d’une somme de 150$ par années (par marque), on:

  • (1) vous avisera lorsqu’un tiers essaie d’enregistrer un nom de domaine identique à votre marque (i.e. si on avait un enregistrement pour la marque ACTIFS CREATIFS, on nous aviserait si quelqu’un enregistrait actifscreatifs.law, mais pas si quelqu’un essayait d’enregistrer blogueactifscreatifs.law); et
  • (2) on vous donne accès à une période d’enregistrement prioritaire avant que le grand public ne puisse enregistrer des noms de domaines dans les nouvelles extensions.

Big deal.
Alors que plusieurs avocats sont rapides sur la gachette à vous offrir de vous aider à faire des demandes pour être enregistrés auprès du Trademark Clearinghouse, je note que certains sont très critiques des efforts de l’ICANN à cet égard (l’ancienne chairwoman de l’ICANN le dit très crûment : « That just strikes me as a protection racket. »).

Je trouve, moi, que c’est comme si une compagnie demandait que vous payiez pour avoir le privilège d’être abonné à son newsletter publicitaire. Autrement dit, sous le prétexte de vous protéger, on réussit à vous faire payer pour avoir une carte fidélité… pour un bien qu’il vous répugne d’acheter.

Bref, ça vaut la peine le Trademark Clearinghouse? Moui… pour les marques les plus importantes de votre portefeuille, et à condition de ne pas se mettre à acheter tous les noms de domaines sous le soleil, à moins d’avoir de l’argent à gaspiller et des ressources humaines à qui confier la gestion d’un portefeuille de noms de domaines en croissance exponentielle.

Ma présentation en format PDF est ici.

Un vidéo avec les performances de mes confrères (l’une parlait du projet de Loi C-56, l’autre des changements au système des brevets) sera mis en ligne sous peu.

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Mise à jour:

En cherchant de l’information sur le sujet, je suis tombé sur un document de l’INTA qui décrit assez bien ce qu’est véritablement le Trademark Clearinghouse:

INTA also notes that the Trademark Clearinghouse by itself is not designed to provide any proactive protection to brand owners or consumers. Instead, the Trademark Clearinghouse is merely a centralized database designed to ease the burden of providing documentation to prove trademark rights for each new gTLD, and perhaps a source of information in any notification system to potential domain name registrants of possible infringement or dilution. As proposed, the Clearinghouse is therefore not, nor was it intended to be, a rights protection mechanism, since by itself it does little to deter abusive domain name registrations.

À prendre en considération avant de passer à travers toute la paperasse qu’on met à notre disposition pour nous expliquer le système: http://www.trademark-clearinghouse.com/downloads?title=guidelines&field_category_tid=All