Par: Xavier Beauchamp-Tremblay
À la fin de l’année 2012, j’ai publié un long billet tentant de résumer les principes applicables au droit d’auteur dans les logiciels, m’inspirant pour ce faire d’un jugement rendu en mai dans l’affaire américaine Oracle v. Google.
Voici un billet, beaucoup plus bref cette fois, pour faire une petite mise à jour sur cet épineux dossier… avec pour thème les contes fantastiques.
1) L’appel de Oracle devant le Magenmagot
On apprenait plus tôt ce mois-ci que Oracle avait porté le jugement de première instance en appel en déposant un imposant mémoire qui commence par un petit détour par le monde des sorciers. Après tout, n’est-il pas normal qu’une compagnie nommée « Oracle » puise ainsi dans une oeuvre où les prophéties ont un rôle aussi fondamental?
Ann Droid wants to publish a bestseller. So she sits down with an advance copy of Harry Potter and the Order of the Phoenix—the fifth book—and proceeds to transcribe. She verbatim copies all the chapter titles—from Chapter 1 (“Dudley Demented”) to Chapter 38 (“The Second War Begins”). She copies verbatim the topic sentences of each paragraph, starting from the first (highly descriptive) one and continuing, in order, to the last, simple one (“Harry nodded.”). She then paraphrases the rest of each paragraph. She rushes the competing version to press before the original under the title: Ann Droid’s Harry Potter 5.0. The knockoff flies off the shelves.
J.K. Rowling sues for copyright infringement. Ann’s defenses: “But I wrote most of the words from scratch. Besides, this was fair use, because I copied only the portions necessary to tap into the Harry Potter fan base.”
Obviously, the defenses would fail.
Defendant Google Inc. has copied a blockbuster literary work just as surely, and as improperly, as Ann Droid—and has offered the same defenses.
L’analogie fait sourire, mais Google répondra sans doute que contrairement aux titres des chapitres de Harry Potter and the Order of the Phoenix et des « topic sentences » de ses paragraphes, les « declarations » et « headers » de l’API Java obéissent entièrement aux règles du langage de programmation Java (pour rappel: tout le monde dans cette affaire s’entend quant au fait que Google pouvait librement utiliser le langage Java).
C’est ce qu’expliquait le juge de première instance (le Juge Alsup):
So long as the specific code used to implement a method is different, anyone is free under the Copyright Act to write his or her own code to carry out exactly the same function or specification of any methods used in the Java API. It does not matter that the declaration or method header lines are identical. Under the rules of Java, they must be identical to declare a method specifying the same functionality — even when the implementation is different. When there is only one way to express an idea or function, then everyone is free to do so and no one can monopolize that expression.
L’avenir dira où nous mènera ce clin d’oeil à l’univers de J.K. Rowling.
2) La bataille des géants
Pour compléter notre conte, on apprenait la semaine dernière que plusieurs poids lourds de l’industrie du logiciel (dont Microsoft) s’étaient rangés derrière Oracle en déposant des mémoires à titre d’intervenants. Décidément, on se prépare pour une bataille de géants (si ce n’était pas déjà le cas).
Le principal argument des intervenants? On soutient que le Juge Alsup a erré en appliquant des tests utilisés pour déterminer l’existence d’une « copie » à une autre fin, soit la question de l’existence du droit d’auteur.
Par exemple, dans mon billet de décembre, je vous parlais de la théorie selon laquelle il n’y a pas de droit d’auteur lorsque l’idée et l’expression de cette idée se « fusionnent » (par exemple lorsque l’expression de l’idée est entièrement guidée par des considérations pratiques): le « merger doctrine ».
Oracle et ses alliés soutiennent que lorsque cette théorie ne sert pas à déterminer si un droit d’auteur existe (comme l’a fait le Juge Alsup), mais plutôt à déterminer s’il y a eu « copie ». En somme, il s’agirait d’une « exception » au droit d’auteur semblable à la défense d’utilisation équitable (ou « fair use » chez nos voisins) qui ne nie ni l’existence du droit d’auteur ni l’existence d’une contrefaçon (l’utilisation équitable est une sorte pardon qu’on donne au « copieur »).
On notera que les tribunaux canadiens semblent avoir appliqué le test comme l’avait fait le Juge Alsup, soit en l’utilisant pour déterminer l’existence du droit d’auteur (plutôt que l’existence d’une « copie »).
Plus généralement, les appelants craignent que le jugement de première instance place la barre beaucoup trop haute pour déterminer quels éléments des programmes informatiques sont protégés par le droit d’auteur.
Une Histoire sans fin qui reste à suivre, donc!