Par: Xavier Beauchamp-Tremblay

Sur Twitter, on trouve un peu n’importe quoi (ça, par exemple), mais il ne faut pas pour autant tenir pour acquis qu’on peut faire n’importe quoi avec un tweet… du moins selon un tribunal new-yorkais et la juge Alison Nathan (dont vous trouverez le jugement ci-dessous).

Ceci est donc l’histoire de Daniel Morel, un photographe haïtien qui a été un témoin direct du malheureux tremblement de terre qui a dévasté la Perle des Antilles les 12 janvier 2010. Morel était justement en train de participer à une séance de prise de photo au moment du tremblement, de sorte qu’une fois la secousse terminée, il s’est affairé à prendre plusieurs clichés saisissants de l’événement (certains sont reproduits dans un document de cour déposé par Morel).

Après que Morel les eu publiées sur son compte Twitter via le service TwitPic (qui sert, comme son nom l’indique, à tweeter des photos), les photos sont reprises par un employé d’AFP qui les place dans une base de données. À la suite d’un processus automatisé, les photos sont ensuite transmises par AFP à Getty, une entreprise dont le pain et le beurre sont la « vente » de licences aux journaux du monde entier. Ce qui devait arriver arriva, et les photos ont abouti sur le site d’au moins une publication, fort crédible par ailleurs, soit le Washington Post (WP).

Anticipant la poursuite de Morel, AFP a déposé une procédure judiciaire pour faire confirmer par la cour qu’elle avait le droit d’utiliser les photos de Morel. Morel a répliqué en poursuivant AFP, Getty et le WP en violation de droit d’auteur.

La question clef était de déterminer si les conditions d’utilisation de Twitter (un contrat entre Morel et Twitter) permettaient à des tiers comme AFP, Getty et le Washington Post d’utiliser les photos. On note en particulier que les conditions d’utilisation de Twitter prévoyaient que ses usagers consentaient à ce que Twitter puisse permettre à son tour à d’autres compagnies d’utiliser le contenu publié par ses usagers :

You agree that this license includes the right for Twitter to make such Content available to other companies, organizations or individuals who partner with Twitter for the syndication, broadcast, distribution or publication of such Content on other media and services, subject to our terms and conditions for such Content use.[1]

AFP, Getty et WP invoquaient aussi que les Guidelines for Third Party Use of Tweets in Broadcast or Other Offline Media de Twitter permettaient (voire encourageaient) le « repartage » du contenu publié par ses usagers :

We welcome and encourage the use of Twitter in broadcast.

La juge conclut qu’il y a une différence entre, d’une part, rediffuser le contenu des usagers de Twitter (notamment à la télévision) pour des fins de nouvelles (en attribuant le contenu à Twitter et à l’usager Twitter l’ayant mis en ligne) et d’autre part, sortir une photo du « cadre Twitter » en la « revendant » pour faire un profit. Vous comprendrez qu’elle retiendra donc la position du photographe Morel plutôt que celle de AFP, Getty et WP.

Que retenir?

Le contenu publié sur les médias sociaux est désormais employé à toutes les sauces, par exemple dans les bulletins de nouvelles pour illustrer le pouls de la population quant à une nouvelle particulière. Dans certaines émissions, les items tirés des médias sociaux sont même parfois le seul véritable contenu diffusé (par exemple une émission présentant les vidéos « viraux » les plus rigolos ou insolites diffusés sur YouTube).

Tout ça peut donner l’impression qu’on peut donc faire ce qu’on veut avec ce qu’on trouve sur les médias sociaux. Si une telle impression peut sembler obéir à la logique des médias sociaux (en ce sens que plusieurs personnes ne les utilisent que dans l’espoir d’attirer l’attention et rêvent de voir leur contenu repartagé… à n’importe quelle condition), elle n’obéit pas à celle du droit d’auteur.

Si Twitter, pour ne parler que de ce réseau, permet explicitement l’usage de son contenu dans une « diffusion » («broadcast ») dans tout média (sujet au respect des mêmes Guidelines ayant été discutés dans l’affaire Morel), elle interdit explicitement par exemple que le contenu mis en ligne par ses usagers soit employé dans des publicités.

Sauf que la difficulté de l’affaire Morel reposait justement sur le fait que les conditions d’utilisations de Twitter n’interdisaient pas explicitement la « revente » du contenu publié par les usagers. Il fallait donc revenir au principe de base quant aux licences de propriété intellectuelle : ce qui n’est pas explicitement permis par le concédant de licence (ici, monsieur Morel) est interdit, de la même façon que si votre permis (en anglais justement, une « licence ») de conduire n’indique pas que vous avez le droit de conduire des gros camions, vous n’avez pas le droit de conduire des gros camions.

À cet égard, l’affaire du photographe Morel peut donc servir de rappel et de mise en garde aux annonceurs qui, c’est maintenant monnaie courante, font des campagnes de publicités interactives en demandant aux participants de fournir une photo ou une autre œuvre protégée par droit d’auteur : sauf s’ils obtiennent carrément une cession de l’œuvre en question, les usages qui ne sont pas prévus dans les règlements du concours risquent d’être automatiquement interdits.

Enfin, et au-delà de tout ça, on retient aussi que les usagers des médias sociaux ne sont pas tous à la recherche d’attention à n’importe quelle condition et ne permettront pas (tous) qu’on fasse n’importe quoi avec leur contenu.

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[1] Les termes et conditions d’autres sites contiennent du langage semblable. Ceux de Tumblr (qui s’y permettent même des notes d’humour) prévoient par exemple:

You also agree that this license includes the right for Tumblr to make all publicly-posted Content available to third parties selected by Tumblr, so that those third parties can distribute and/or analyze such Content on other media and services.

https://actifscreatifs.lexblogplatformthree.com/wp-content/uploads/sites/259/2013/02/twitter-photos.pdf