La France est sous le choc.

Un homme d’affaires du Val de Marne sème l’émoi en voulant profiter de tous les bénéfices que lui procure l’enregistrement de la marque de commerce « Laguiole » qu’il a réussi à obtenir en toute légitimité de l’INPI, équivalent français de l’OPIC (Office de la propriété intellectuelle du Canada). Pour plusieurs, ce nom est évocateur d’une gamme de couteaux marquée d’une abeille stylisée mais pour d’autres ce mot est avant tout le nom d’un village d’un peu plus de 1000 habitants situé dans l’Aveyron dans le Midi. Fort d’un usage intensif et d’une réputation que certains pourraient qualifier de « variable », le mot Laguiole est devenu au fil des ans synonyme de couteaux et ce, même si ceux-ci sont maintenant majoritairement fabriqués à Thiers, commune située en Auvergne à un peu plus de 200 km.

Les émotions sont vives car il faut comprendre qu’armé de son enregistrement, le titulaire peut maintenant empêcher légalement tous résidants de Laguiole de pouvoir apposer le nom de leur village sur l’un ou l’autre des produits associés à l’enregistrement qui, d’ailleurs, sont particulièrement nombreux tel qu’en fait foi le registre de l’INPI (voir le jugement ci-dessous  pour la liste des marques et des classes de produits couvertes par celles-ci) . Cette situation a suscité des réactions souvent cinglantes. Ajoutant l’insulte à l’injure, certains font d’ailleurs remarquer que plusieurs de ces produits Laguiole sont fabriqués en Asie! Ainsi, et en appliquant strictement les prérogatives que la loi lui reconnaît, le titulaire de cet enregistrement peut maintenant commercialiser une gamme impressionnante de produits en tirant avantage de la réputation de ce petit village sans y fabriquer ses produits mais il peut également, et c’est là que le bât blesse, empêcher les résidants de Laguiole d’offrir sur une base commerciale des produits arborant le nom de leur village. En fait, et pour être plus précis, ils peuvent toujours le faire mais ils devront alors obtenir une licence de la part du titulaire de la marque!

Bien évidemment, cette affaire a été amenée devant les tribunaux français qui, récemment, ont confirmé les droits du titulaire. S’appuyant sur le fait que la commercialisation anarchique du nom Laguiole lui avait fait perdre son caractère distinctif indispensable pour assurer sa valeur, la Cour a statué : « Mais une commune n’est pas fondée à invoquer une atteinte à son nom, à son image et à sa renommée dès lors qu’il est établi que son nom correspond aussi à un terme devenu générique pour désigner un produit fabriqué non exclusivement sur son territoire. »

Cette histoire est devenue un enjeu politique après que le maire de la commune eut pris la décision de se tourner vers l’opinion publique pour tenter de reprendre le droit à son nom. Une lettre a d’ailleurs été transmise à François Hollande pour le sensibiliser à la situation. C’est donc avec un geste d’éclat que le maire, accompagné de plusieurs journalistes, a purement et simplement déboulonné le nom Laguiole situé à l’entrée du village arguant que le petit village de Laguiole avait maintenant perdu son nom.

Une telle situation est-elle possible au Canada? Une personne peut-elle s’approprier le nom d’un village ou d’une ville simplement en déposant une demande d’enregistrement de marque de commerce? Sans vouloir entrer dans une étude comparative des droits français et canadien en la matière, qu’il suffise de mentionner que nul ne peut, au Canada, « utiliser, en liaison avec des marchandises ou services, une désignation qui est fausse sous un rapport essentiel et de nature à tromper le public en ce qui regarde leur origine géographique ».

L’objectif de la loi étant la protection du public, il est fort probable qu’un examinateur en charge d’une telle demande d’enregistrement exigera du requérant qu’il atteste que la marque désigne le lieu d’origine du produit. Dans le cas où elle ne peut être démontrée, la marque devrait être rejetée car de nature à tromper le public sous un rapport essentiel. Il faut cependant, et à cet égard la loi canadienne rejoint le principe émis par la cour française, que la marque puisse avoir préservé son caractère distinctif et être en mesure d’être reconnue par le public comme étant le lieu habituel d’origine du produit en question.

Quoi qu’il en soit, l’histoire de la marque Laguiole n’est pas terminée car le conseil municipal a décidé il y a quelques jours de porter en appel la décision défavorable rendue en septembre dernier. C’est donc une histoire à suivre…

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