Si vous avez été impliqué dans un dossier de brevet aux États-Unis, il est plausible, à moins que vous ne soyez très riche, que vous ayez vécu un sentiment d’impuissance, d’incompréhension, voire même de frustration en faisant affaire avec les examinateurs du bureau des brevets de ce pays (United States Patent and Trademark Office – USPTO).

Lors d’une discussion où je lui expliquais diverses contraintes auxquelles ces examinateurs font face, mon ami François Léveillée était surpris de découvrir cette nouvelle perspective, et me suggérait de publier le billet que vous lisez maintenant. Alors merci François pour l’inspiration!

Tout d’abord, rappelons-nous que l’examinateur est un être humain, et, comme tout le monde, il recherche le bonheur! Souvent, que nous nous l’avouions ou non, nous considérons l’amélioration de notre rémunération, ou l’éventualité d’être promu, comme des aspects significatifs de notre recherche du bonheur.

Les emplois au bureau des brevets sont rémunérés par des salaires et des conditions de travail gouvernementaux. Toutefois, contrairement à la situation présente au Canada,

le USPTO recherche la profitabilité
et utilise pour y arriver un système de points
pour évaluer la productivité de ses examinateurs.

Oui, vous avez bien compris!

En d’autres mots, plus un examinateur récolte de points dans son année, plus il est susceptible de voir sa rémunération s’améliorer, voire de recevoir une promotion.

Comment le système de points fonctionne-t-il?

Je recopie ci-dessous une diapositive provenant d’une présentation powerpoint qui a été publiée par le USPTO juste avant qu’il effectue une amélioration à son système de pointage, en 2010. Le graphique ‘Current’ correspond donc à l’ancien système et le graphique ‘Proposed’ correspond au système en place au moment d’écrire ces lignes.

 

En résumé, un examinateur reçoit actuellement 1.25 points pour rédiger sa première lettre officielle sur le fond (First Action On Merits – FAOM). Comme vous le savez sûrement, les lettres officielles aux États-Unis sont généralement beaucoup plus complexes que celles reçues au Canada, notamment parce que la loi et la jurisprudence y sont énormément plus développées.

Vous, par l’entremise de votre agent de brevet, répondrez alors à ces objections, ferez valoir le bien-fondé de vos revendications, demanderez une reconsidération et y mettrez tout votre coeur.

S’il est entièrement convaincu de vos arguments, l’examinateur pourra émettre un avis d’acceptation, ce qui lui vaudra 0.75 points.

Or, plus souvent qu’autrement, l’examinateur ne sera pas entièrement convaincu par cette première réponse et rédigera ensuite une lettre officielle finale, auquel moment il recevra 0.25 points.

Comme ils ne reçoivent pas beaucoup de crédits pour cette action, les examinateurs s’expriment souvent de façon très incomplète lors de cette lettre officielle finale, parfois en recopiant des paragraphes entiers de leur première lettre officielle, ce qui peut vous donner l’impression qu’ils n’ont même pas lue la réponse dans laquelle vous vous êtes tant investis.

Ensuite, à moins que vous n’envisagiez de faire appel à sa décision, ce qui ne doit pas être fait à la légère, l’examinateur recevra son dernier 0.5 points et ce, peu importe que vous répondiez à sa lettre officielle en déposant une requête de continuation d’examen (Request for continued examination – RCE), ou que vous abandonniez carrément le dossier.

Bien entendu, le RCE engendre des frais qui comprennent une taxe gouvernementale qui est maintenant de 600 USD pour une entité de moins de 500 employés, ou du double dans le cas contraire, et qui sert, selon la version officielle, à financer du temps additionnel d’examen.

Avec cet examen additionnel, l’examinateur peut aller chercher un total de 1.75 points pour ‘disposer de vous à nouveau’. En l’absence d’une acceptation ou d’un appel durant cette deuxième ronde, vous serez vraisemblablement invité à payer un second RCE avec une taxe plus élevée, maintenant à 850 USD pour les petites entités, pour une troisième ronde où l’examinateur pourra aller chercher un total de 1.5 points. La troisième ronde peut ensuite se répéter…

Injuste ce système de points?

Eh bien, tout dépend de la perspective. Une chose est sûre, il s’agit d’une amélioration par rapport au système précédent qui était en vigueur jusqu’au début 2010. Comme vous l’avez vu, étant donné que le nombre de points disponibles diminue maintenant au fur et à mesure que l’on avance dans les ‘rondes’, l’examinateur a plus d’incitatif à en finir avec les vieux dossiers et à en commencer de nouveaux, qu’à éterniser le débat.

Comme vous le verrez en regardant le graphique ‘current count system’ dans l’image ci-dessus (qui représente le système qui était en place avant 2010), l’examinateur avait autant de crédits pour traiter les vieux dossiers (‘rondes’ 2 et subséquentes) qu’il n’en avait pour traiter les nouveaux. Par ailleurs, comme il commençait à bien connaître les vieux dossiers, il pouvait souvent préparer sa première lettre officielle d’une ronde subséquente en y passant moins de temps qu’il n’en passait pour préparer une première lettre officielle dans un nouveau dossier, ce qui lui donnait un incitatif de plus pour continuer… à vos frais!

Leçons à tirer

D’ici à ce que le système soit changé à nouveau, ce qui ne surviendra sûrement pas avant de nombreuses années, les personnes impliquées dans l’examen de demandes de brevet aux États-Unis auront tout avantage à bien comprendre les motivations des examinateurs et à jouer le jeu.

Par exemple, malgré que le RCE représente des frais significatifs que nous pouvons être très motivés à vouloir éviter, il est important de comprendre qu’il représente pour l’examinateur une opportunité d’augmentation de salaire, voire même de promotion, et que le fait d’adopter une attitude où l’on tente tout en notre possible pour en priver l’examinateur peut contribuer à le rendre d’une humeur… disons moins agréable!

Par contre, les examinateurs sont non seulement ouverts, mais même encouragés à vous accorder une heure d’entrevue en début de dossier, de préférence avant d’émettre leur première lettre officielle sur le fond. Vous avez donc l’opportunité d’investir tôt dans votre dossier afin d’aider l’examinateur à bien comprendre l’invention et à aligner le débat sur des questions pertinentes, plutôt que de dépenser le temps et l’argent requis pour clarifier d’éventuelles incompréhensions après que la première lettre officielle sur le fond ait été émise. Par ailleurs, une entrevue avec l’examinateur peut être une belle occasion pour redonner une couleur humaine à votre dossier (plutôt que de laisser l’examinateur dans sa perspective de pointage), voire même sensibiliser l’examinateur à l’effet que ses décisions peuvent avoir sur vous ou votre client.

Enfin, terminons par une citation inspirante de Sun Tzu, ce général chinois ayant vécu des centaines d’années avant Jésus-Christ :

« Si vous connaissez vos ennemis et que vous vous connaissez vous-même, mille batailles ne pourront venir à bout de vous. Si vous ne connaissez pas vos ennemis mais que vous vous connaissez vous-même, vous en perdrez une sur deux. Si vous ne connaissez ni votre ennemi ni vous-même, chacune sera un grand danger. » – Sun Tzu

Note : le mot examinateur est utilisé au masculin uniquement pour alléger le présent texte.